Lecornu vers la sortie de route ?
Un Premier ministre gravement exposé
Lecornu vers la sortie de route ?
Avec un climat social glacial rendant la chaotique chaussée politique de plus en plus glissante, la feuille de route que présentera le Premier ministre risque de devenir très vite une feuille de sortie de route.
Une journée de mobilisation syndicale
Le 18 septembre dernier, a été une journée de mobilisation syndicale : appel d’une intersyndicale CFDT, CGT, CFE/CGC, FO, FSU, Solidaires, UNSA ; des grévistes essentiellement dans la fonction publique ; des cortèges à Paris et dans les grandes métropoles régionales ainsi que dans de nombreuses villes. Chez nous, l’unité syndicale a aussi été de mise. CFDT, CGT, CFE/CGC, FO, FSU, Solidaires, UNSA et le STC s’étant joint à la démarche, ont appelé à une « Riposte générale contre le gouvernement et le patronat ». Cela s’est traduit — dans le secteur public, plus particulièrement dans le transport ferroviaire et l’éducation — par des grévistes ou des débrayages le temps d’un rassemblement ou de manifester, ainsi que par deux cortèges qui ont réuni près de 2000 personnes (1500 à Bastia, 4 à 500 à Aiacciu).
Un point de départ prometteur ?
Au niveau national, ayant sans doute considéré que la mobilisation qui avait pu paraître moindre que ne le prédisaient les observateurs, représentait un point de départ prometteur, l’intersyndicale a d’emblée tiré un bilan positif et indiqué ne rien lâcher. Elle s’est félicitée du « succès de la journée de mobilisation interprofessionnelle et unitaire du 18 septembre » et affirmé y avoir vu « la confirmation de la colère et la détermination des salarié·es, privé·es d’emplois, jeunes et retraité·es ». Elle a souligné que « la mobilisation contre le budget d’austérité a commencé à payer, car elle a obligé le pouvoir à abandonner la suppression de deux jours fériés ». Elle a confirmé continuer de rejeter plusieurs dispositions du projet de budget 2025 (doublement des franchises médicales ; désindexation des traitements des agents de la fonction publique, des pensions de retraite, des prestations sociales, du budget des services publics ; suppression de 3000 postes de fonctionnaires). Elle a maintenu ses revendications : suppression de la réforme des retraites, renoncement à la réforme de l’assurance chômage, retrait des projets « attaquant » le Code du travail » et le jour non travaillé du 1er mai, taxation accrue des gros patrimoines, des hauts revenus et des dividendes, conditionnalité sociale et environnementale des aides publiques aux entreprises privées, moyens budgétaires accrus pour les services publics, protection sociale de haut niveau, investissements dans une transition écologique juste, réindustrialisation, mesures contre les licenciements. L’intersyndicale a aussi demandé l’ouverture de négociations salariales dans toutes les branches et les entreprises. Ayant été reçue le 24 septembre dernier par le Premier ministre Sébastien Lecornu, l’intersyndicale n’a rien obtenu et a donc appelé à une nouvelle journée de grèves et manifestations.
Marche blanche du collectif Santé en danger
Le 18 septembre a aussi été jour de grève et de manifestation des pharmaciens et de leurs salariés au niveau national et aussi chez nous (95 % des pharmacies de l’île étaient fermées). Objet de cette mobilisation : protester contre un arrêté abaissant le plafond des remises commerciales sur les médicaments génériques. Le gouvernement a fait une première concession. Il a accepté de réduire la baisse des prix. Mais l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine et la Fédération des syndicats de pharmaciens d’officine, les deux organisations représentatives de pharmaciens, ont jugé la concession insuffisante. Puis le gouvernement a cédé davantage.
Le Premier ministre a annoncé la suspension pour une durée minimale de trois mois de l’arrêté et que l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) devra identifier les flux financiers de la distribution du médicament et mesurer l’impact des plafonds de remises sur la rémunération officinale. Cette annonce a permis la conclusion d’un protocole d’accord avec les deux syndicats représentatifs.
Sébastien Lecornu n’en a pas pour autant fini avec le mécontentement et les revendications émanant de professions de santé. Dénonçant un « manque de généralistes », « des spécialistes inaccessibles avant plusieurs mois », « un recours obligatoire aux urgences pour de nombreux malades », « des pertes de chances dramatiques en cancérologie et ailleurs », « des soignants qui s’épuisent et des étudiants qui renoncent », « un contexte de violence, de mépris institutionnel et de conditions de travail dégradées » et que « derrière chaque lit fermé, des malades attendent, souffrent ou renoncent aux soins », le Collectif Santé en danger a appelé à une « marche blanche » à Paris avec pour mot d’ordre « la santé n’est pas une variable d’ajustement » et pour revendication « sanctuariser les budgets santé ».
Le collectif entend réunir tous les professionnels de santé de terrain et les usagers désireux de faire évoluer rapidement le système de santé en France. Son appel à manifester est soutenu et relayé par une trentaine de syndicats et associations de soignants et patients. Parmi les signataires de l’appel figurent la première fédération de syndicats de médecins hospitaliers, les syndicats d’urgentistes, les deux syndicats représentatifs des pharmaciens, des syndicats de médecins libéraux, des associations de kinésithérapeutes, d’infirmiers ou de psychiatres.
Un Premier ministre gravement exposé
Les journées d’action de l’intersyndicale et du collectif ayant respectivement été programmées les 2 et 4 de ce mois, il est impossible, dans le présent article, de commenter les niveaux de mobilisation. En revanche, il est possible d’analyser l’ensemble des revendications qui seront exprimées et celles qui sont latentes au sein d’autres catégories de la population et seront sans doute exprimées dans un futur proche. Et de tirer des enseignements… Analyser révèle un climat social devenu conflictuel qui, s’ajoutant à l’instabilité et à la confusion politiques, désorganise et ralentit l’activité économique.
Analyser fait craindre la multiplication de revendications de plus en plus égoïstes voire corporatistes du fait de l’incapacité de la classe politique d’œuvrer à des solutions globales et durables. Analyser suggère que la grève et la rue ne sont pas encore assez fortes pour imposer un compromis social (les difficultés financières de nombreux individus et ménages, un désenchantement ou un découragement plombent les mobilisations). Analyser suggère qu’un compromis politique sera difficile à trouver, car, étant soumis aux pressions de la Commission européenne et des agences financières (qui poussent à la réduction de la dette de la France) et à celles du grand patronat et des parlementaires de droite (qui refusent toute hausse de la pression fiscale), Sébastien Lecornu n’a pas de marges de manœuvre budgétaires et refuse à ce jour l’Impôt sur la fortune (ISF), la taxe Zucman et à la suspension de la réforme des retraites (interview, Le Parisien, 26 septembre dernier). Ce qui l’expose gravement. En effet, ses refus ne peuvent qu’inciter les députés du Parti socialiste et du Rassemblement national (afin de ne pas se couper des mouvements sociaux et/ou ne pas être désavoués par l’électorat populaire) à joindre leurs votes à ceux des députés Insoumis, communistes et écologistes pour censurer.
Avec un climat social rendant la chaotique chaussée politique de plus en plus glissante, la feuille de route que présentera le Premier ministre risque de devenir très vite une feuille de sortie de route.
Pierre Corsi
photo :jdc