Ne touchez pas au Conservatoire du littoral !
« Nous avons plus que jamais besoin d’un Conservatoire fort, indépendant et ambitieux »
Ne touchez pas au Conservatoire du littoral !
Il y a cinquante ans, pour préserver une part significative de ses espaces naturels littoraux et ainsi répondre à cinq enjeux fondamentaux (transmettre aux générations futures, préserver l’attractivité du territoire ; bien-être collectif ; protéger des biens et des personnes contre les phénomènes climatiques extrêmes en conservant des espaces entre la mer et les zones habitées ou/et économiquement exploitées ; accès à la mer pour tous), l’État s’est doté d’un établissement public, le Conservatoire du littoral. Aujourd’hui, l’existence de cet établissement qui a montré son efficacité est menacée.
Sous le prétexte d’efficacité étatique
Le Premier ministre Sébastien Lecornu a décidé la création d’une mission dénommée « État efficace ». Directement rattachée aux services du Premier ministre, pilotée par deux hauts fonctionnaires, cette mission a pour objet de proposer « des mesures d’efficacité du service public », c’est-à-dire « de regrouper, de fusionner et, si besoin est, de supprimer des structures qui font double emploi dans le même champ de politique publique ». La suppression de quelques délégations interministérielles a d’ores et déjà été actée. Parmi elles, celle en charge du service national universel (SNU), celle du suivi des conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, celle des restructurations d’entreprises, de la forêt et du bois. Cette démarche du Premier ministre n’est pas nouvelle. Elle se situe dans le prolongement de souhaits du Sénat et de l’action du gouvernement Bayrou. Pour rappel, le Sénat avait voté la suppression de l’Agence Bio, de l’Agence pour la transition écologique (Ademe), de l’Office français de biodiversité (OFB) et de la Commission nationale du débat public (CNDP) lors de l’examen du budget 2024, puis l’utilisation du 49-3 par le gouvernement avait permis leur maintien. Laurent Marcangeli, ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la simplification, avait annoncé vouloir la fusion des cinq Instituts régionaux d’administration (IRA) en une entité. Il avait aussi exposé la méthode avec laquelle ses services classaient 103 agences, 434 opérateurs et 317 organismes, tous sur la sellette, car passés au crible par le Sénat, selon trois catégories : les performants qui remplissent leurs missions et apportent une valeur ajoutée à la fonction publique ; les redondants pouvant avoir des compétences également assumées ou assumables par d’autres, destinés à donner lieu à des fusions ou des rapprochements ; les externalisés ayant été créés pour plus d’agilité de l’action publique relevant d’une éventuelle réinternalisation.
« Ses attributions et personnels seront transférés à l’Office français de la biodiversité »
Cette relance par Sébastien Lecornu de la volonté de supprimer des agences, des opérateurs et divers organismes, projette le Conservatoire du littoral dans l’œil du cyclone. En effet, elle s’ajoute aux conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur les missions des agences de l’État qui, le 3 juillet dernier, a préconisé la suppression du Conservatoire bien qu’il n’ait pas démérité. En effet, dans le rapport de ladite commission, il est écrit : « Cet établissement public à caractère administratif a été créé en 1975 pour conduire une politique foncière de sauvegarde des espaces naturels dans les cantons côtiers et les communes riveraines des lacs de plus de 1 000 hectares, en métropole et dans les outremers. Il acquiert des espaces naturels littoraux ou lacustres soumis à des pressions importantes, dégradés ou menacés. Il conduit des travaux de restauration du patrimoine naturel, culturel et bâti et des travaux d’aménagement pour en préserver la biodiversité et la qualité patrimoniale tout en veillant à favoriser l’accueil du public et le maintien d’activités économiques traditionnelles. La gestion courante des terrains est confiée à d’autres acteurs : collectivités, associations, etc. Il met également en œuvre des opérations exemplaires de gestion souple du trait de côte en faveur de l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique. Ses attributions et personnels seront transférés à l’Office français de la biodiversité (OFB) qui dispose de compétences proches sur le reste du territoire. Une direction des acquisitions foncières sera créée afin de réaliser les achats de terrains, seule compétence majeure qui manque actuellement à l’OFB. »
« Nous avons plus que jamais besoin d’un Conservatoire fort, indépendant et ambitieux »
La préconisation de la commission d’enquête sénatoriale est loin de faire l’unanimité. Dans une tribune ayant été publiée par le quotidien « Le Monde », près de 600 élus ont signé une tribune défendant le bilan du Conservatoire du littoral et affirmant que l’établissement public doit « non seulement être préservé, mais aussi conforté dans sa mission. » Une pétition « Protégeons ensemble nos littoraux, soutenons le Conservatoire du littoral » a été lancée, à ce jour, elle a réuni 26 000 signatures à partir du texte suivant (extraits) : « Depuis 50 ans, le Conservatoire du littoral veille sur nos côtes. Grâce à son action, près de 20 % du littoral français, dans l’Hexagone et dans les territoires d’Outre-Mer, ont été préservés du bétonnage, rendus à la nature et ouverts à tous. Des paysages que nous aimons tant sont aujourd’hui accessibles parce que des femmes et des hommes engagés, qu’ils soient élus, agents d’établissements publics et de collectivités ou encore citoyens, ont décidé qu’ils devaient rester des biens communs. Le Conservatoire du littoral est une Agence reconnue, enviée dans le monde entier : il protège la biodiversité, préserve des sites emblématiques de notre patrimoine et permet à chacun de profiter d’une nature préservée et de paysages exceptionnels […] Aujourd’hui pourtant, cet outil unique est menacé. Des projets de réforme risquent de l’affaiblir, de le diluer ou de le faire disparaître au nom d’une simplification administrative. Ce serait une grave erreur. Face à la montée des eaux, à l’érosion, à l’artificialisation, à la perte de biodiversité et des dérèglements climatiques nous avons plus que jamais besoin d’un Conservatoire fort, indépendant et ambitieux […] Nous appelons tous ceux qui se sentent attachés à la beauté et à la liberté de nos littoraux à se mobiliser. Soutenir le Conservatoire du littoral, c’est protéger un héritage commun et préparer l’avenir. C’est dire oui à une vision positive : celle d’un littoral vivant, accueillant, transmis aux générations futures. Rejoignez cet élan, faites entendre votre voix : ensemble, nous pouvons préserver ces espaces précieux et la mission exemplaire du Conservatoire du littoral. » (Pour ajouter sa signature à la pétition : https://www.change.org/p/prot%...
« La suppression du conservatoire du littoral reviendrait à casser un outil essentiel »
Chez nous, la perspective d’une suppression inquiète aussi, car les interventions du Conservatoire ont permis de préserver une partie non négligeable du littoral et notamment des sites côtiers et marins remarquables. U Levante rappelle : « En Corse, parce que le grand tourisme de masse est arrivé avec retard et aussi parce que les objectifs du Conservatoire du littoral rencontraient un bon écho localement, son intervention a permis de rendre inconstructibles : 21 à 23 % du linéaire côtier, plus de 21 000 hectares, 72 sites, et surtout de très grands sites s’étendant loin vers l’intérieur des terres [l’Agriate, Campumoru-Senetosa, Bunifaziu…], ce qui se révèle fondamental pour la conservation de grands paysages et d’écosystèmes fonctionnels. La profonde originalité du Conservatoire est donc la protection extrêmement forte de la domanialité publique. La deuxième originalité du Conservatoire est sa proximité avec les décideurs locaux : son intervention doit être approuvée par les maires [dans la très grande majorité des cas] et passer devant les Conseils de rivages qui ne comptent que des élus [conseillers territoriaux et élus de la Chambre des territoires en Corse] […] Une fois l’acquisition réalisée, les éventuels aménagements sont toujours réalisés en très étroite concertation avec les élus et les acteurs locaux. Le Conservatoire ne gère pas ses sites, ils sont gérés localement par des associations agréées, des collectivités… En Corse, le plus grand nombre de sites est géré par la Collectivité de Corse/Office de l’environnement qui emploie pour ce faire une soixantaine d’agents […] Si la suppression du Conservatoire devait être confirmée au nom de la simplification administrative, cela reviendrait à casser un outil essentiel à la préservation du littoral et à faciliter encore plus son artificialisation illégale. Non seulement il ne faut pas le supprimer, mais il faut lui donner plus de moyens et veiller à ce que s’y applique la loi Littoral […] Le littoral en général et celui de Corse en particulier auraient tout à perdre de la disparition du Conservatoire du littoral. »
Alexandra Sereni
Légende de la carte
Localisation des sites protégés du Conservatoire du littoral [Crédit illustration U Levante – conservatoire du Littoral]