L'inévitable big -bang : droite -gauche -natio
Un électorat en mutation
L’inévitable big-bang
Premier facteur d’un inévitable big-bang : l’éclatement du nationalisme, qui sera probablement définitivement consommé. Deuxième facteur : le glissement à droite, que ne suffisent pas à contenir le centre-droit pourtant puissant à Aiacciu et le pays ajaccien, ainsi que le sursaut des Républicains incarné par le député François-Xavier Ceccoli en Haute-Corse, et la confirmation très probable de la marginalité de la gauche.
L’âge d’or du nationalisme municipal
Depuis mars 2014 et la victoire de Gilles Simeoni à Bastia, puis les succès de 2020 (conservation de Bastia par Pierre Savelli, conquêtes de Portivechju par Jean-Christophe Angelini, de Biguglia par Jean-Charles Giabiconi, de L’Isula Rossa par Angèle Bastiani et d’autres communes), le nationalisme a montré sa capacité à s’imposer au niveau local. En position dominante ou majeure, il a su contracter des alliances pour défaire des sortants de gauche ou de droite.
Les leviers du pouvoir et la tentation de l’offensive
Grâce à une tactique électorale rodée et à la maîtrise des leviers budgétaires de la Collectivité de Corse, permettant de satisfaire ou de promettre, on pouvait penser que le nationalisme, lors des municipales de mars prochain, serait en mesure de passer à l’offensive dans d’autres communes, grandes ou petites, avec de réelles chances de victoire. Or, il semble qu’il n’en sera rien.
Des batailles fratricides plutôt qu’une conquête
Le nationalisme paraît désormais condamné à deux scénarios : des batailles défensives et fratricides, ou la figuration dans la division, plutôt qu’une dynamique de conquête. À Bastia, le premier scénario est déjà en cours : cinq sensibilités — une de droite représentée par Sylvain Fanti, trois de centre gauche (Julien Morganti, Jean-Sébastien de Casalta, François Tatti) et une nationaliste (Partitu di a Nazione Corsa) — se sont coalisées pour ravir la commune à la municipalité nationaliste défendue par Pierre Savelli ou Gilles Simeoni. Sous l’étiquette Uniti, Julien Morganti conduira la coalition.
Les fronts multiples de L’Isula et Portivechju
À L’Isula Rossa et à Portivechju, des affrontements comparables se profilent. Angèle Bastiani, maire de la cité paoline, conseillère exécutive et présidente de l’Agence du Tourisme, figure majeure du siméonisme, devra probablement affronter une coalition conduite par un militant de Core in Fronte, intégrant diverses sensibilités et le Partitu di a Nazione Corsa. À Portivechju, une liste d’opposants nationalistes devrait s’opposer au maire sortant Jean-Christophe Angelini.
Un feu fratricide généralisé
Des configurations semblables — maires nationalistes sortants confrontés à des opposants nationalistes alliés à des forces non nationalistes — apparaissent ailleurs (Zonza, Prunelli di Fiumorbu…). À Aiacciu, la désunion nationale semble d’avance scellée. Siméonistes, Core in Fronte et Partitu di a Nazione Corsa affûtent leurs armes, mais la machine Marcangeli-Sbraggia-Farina, disciplinée et puissante, devrait les balayer sans effort.
Le nationalisme en implosion
Autrefois, les coalitions initiées par les partis nationalistes visaient à défaire leurs adversaires pour conquérir des positions. Désormais, elles sont tournées vers l’intérieur : contre d’autres nationalistes. Le mouvement, qui avait bâti son ascension sur l’unité tactique, se fracture sur les territoires qu’il avait conquis. Premier facteur d’un inévitable big-bang : l’éclatement du nationalisme, probablement définitif.
L’extrême-droite corse ne sera pas ridicule
Deuxième facteur : le glissement à droite. Le centre-droit, pourtant puissant à Aiacciu et dans le pays ajaccien, ne parvient plus à contenir la poussée d’une droite dure, tandis que la gauche reste marginalisée.
Une progression continue
La droite corse, comme le nationalisme, affronte la montée de ce qu’on appelle communément l’extrême-droite. Cette progression, amorcée depuis plusieurs scrutins, s’inscrit dans une dynamique désormais durable. Après les scores spectaculaires des présidentielles et des européennes 2024 (liste Bardella : 40,8 % ; 50 % des voix cumulées entre Rassemblement national et Reconquête), le mouvement a confirmé son ancrage aux législatives (François Filoni en tête dans la 2e circonscription de Corse-du-Sud, 35,1 % au premier tour et 40,8 % au second ; plus de 30 % dans les quatre circonscriptions).
Des limites structurelles au local
Pour les municipales à venir, la probabilité de conquêtes importantes par l’extrême-droite reste faible. Le Rassemblement national, Mossa Palatina, Reconquête et Forza Nova manquent d’élus et de cadres capables de conduire des listes. Ils pèseront peu face aux notables solidement ancrés de droite, de gauche et du camp nationaliste. Aux municipales, les électeurs privilégient les sortants jugés expérimentés, ou des figures d’opposition reconnues et rassurantes.
Une implantation encore fragile
Le Rassemblement national demeure perçu comme un parti national, clivant, peu adapté aux logiques locales. En Corse, son organisation reste instable. Il compte des milliers d’électeurs, mais son leadership demeure fragile et contesté. Mossa Palatina, plus identitaire et autonomiste, tire profit du centralisme jacobin imposé par Paris au RN. Les déçus du nationalisme se tournent davantage vers Nicolas Battini que vers François Filoni. Forza Nova, implanté dans le grand Bastia, dispute à Mossa Palatina le créneau identitaire. Reconquête, plus souple et décentralisé, tente de grignoter le capital électoral du RN.
Rivalités et dissidences
Les rivalités d’ego, les inimitiés et les scissions, comme la récente à Aiacciu, alimentent l’instabilité du camp d’extrême-droite. Les querelles internes, exposées sans filtre sur les réseaux sociaux, font le régal des internautes et des médias, et le miel des adversaires.
Un électorat en mutation
Pourtant, le dégagisme ambiant, l’influence des idées populistes et l’arrivée de nouveaux électeurs sensibles à ces thématiques garantissent à l’extrême-droite une visibilité nouvelle. Elle ne gagnera sans doute pas, mais elle ne sera pas ridicule dans les communes où elle pourra présenter des listes.
Une gauche spectatrice
La gauche, de son côté, ne constitue plus une alternative crédible. Absente du rural et du périurbain, divisée à Aiacciu (où Les Insoumis n’en seront pas), éclatée à Bastia (le PS arrimé au siméonisme, Via Citadina isolée, le PC fidèle au zuccarellisme), elle semble condamnée au rôle d’observatrice impuissante d’un duel à trois entre droite, nationalistes et extrême-droite.
Pierre Corsi
photo : Pierre Corsi