L'étourdissant vertige français
La France ne vacille plus, elle glisse
L’étourdissant vertige français
La France ne vacille plus, elle glisse. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, funeste erreur du Président, la vie publique donne le sentiment d’un éboulement silencieux vers on ne sait trop quoi on se dirige avec le même Lecornu pour Premier ministre dont la fonction sera de faire voter un budget a minima et par abstention. Le gouvernement Lecornu, né un dimanche et mort le lendemain, avait incarné ce moment d’épuisement où le pouvoir n’a plus de socle, où tout se défait sans bruit. Le nouveau ne fera pas mieux. Ce qui s’effondre aujourd’hui, ce n’est pas seulement un exécutif, mais la croyance même qu’un ordre commun puisse encore tenir. Le mot « République » continue d’être prononcé, mais il n’est le carburant d’aucune flamme.
Un centre sans gravité
Pour l’historien Pierre Serna, interviewé par le quotidien Le Monde, cette crise n’est pas accidentelle : elle prolonge un vieux mal français. Depuis la Révolution, le pays oscille entre passions extrêmes et obsession du juste milieu. « L’extrême centre », dit-il, est cette posture de pouvoir qui condamne les excès pour mieux régner, qui prêche la mesure tout en exerçant la contrainte en attendant l’homme (ou la femme) providentiel. Or aujourd’hui, ce centre, autrefois occupé par la posture bonapartiste et que le président Macron a prétendu incarner, n’est plus un équilibre : c’est un vide. Il parle au nom de la raison, mais ne produit plus que de l’usure, agrandissant la fracture entre les partis et le peuple. Sa modération affichée masque une dureté réelle, celle d’un État réduit à la gestion, incapable de produire de l’espérance. Le pouvoir gouverne, mais ne persuade plus ; il décide, mais ne rallie plus grand monde.
Une République épuisée
La mécanique institutionnelle tourne encore, mais à vide. Elle bafouille, elle radote par la bouche de tous les partis qu’ils soient de gauche ou de droite. Les institutions demeurent, les citoyens s’éloignent. Jadis, la verticalité gaullienne garantissait l’unité ; aujourd’hui, elle ne fait qu’accroître les fractures et ouvre la porte à toutes les aventures. Chaque réforme déclenche une fronde, chaque annonce suscite la méfiance. Le pouvoir n’est plus respecté, il est toléré par lassitude et met à mal les nécessaires réformes qu’elles soient économiques ou écologiques. L’électeur, lui, s’efface sans bruit. Il ne s’abstient pas par désintérêt, mais par découragement. Voter ne lui semble plus un acte de souveraineté, mais un rituel sans effet. Le citoyen s’est mué en spectateur, et la démocratie en spectacle. Sous les dorures des institutions, la vie civique s’étiole. La Ve République agonise.
La France en archipels
Ce désenchantement n’est pas qu’institutionnel : il est culturel. Le pays ne partage plus de récit commun. Les villes et les campagnes s’ignorent ou se détestent, les générations s’opposent, les classes sociales se replient sur leurs seuls intérêts oubliant le bien collectif. Ce ne sont plus des fractures, mais des séparations, des divorces. La République, jadis cimentée par l’école, le travail et la langue, devient un archipel d’identités défensives. Dans cette fragmentation, les extrêmes prospèrent. Là où la raison s’épuise, l’émotion règne. Le débat public se déforme en joute permanente : l’insulte remplace l’argument jusque sur les bancs du Parlement, la colère devient programme. Les réseaux d’indignation tiennent lieu de place publique. La démocratie parle trop, mais ne s’écoute plus.
L’urgence d’un sursaut
La Ve République ne s’effondrera peut-être pas dans le fracas, mais dans le silence. À voir pourtant tellement la France est le pays des colères subites, des emportements historiques. La lente perte de foi dans le bien commun érode chaque jour un peu plus son fondement. « Quand la responsabilité disparaît, il ne reste que la force », rappelle Pierre Serna ; et c’est peut-être là le danger ultime : que la République, fatiguée d’elle-même, s’abandonne à un pouvoir sans frein au nom de l’efficacité. Pourtant, rien n’est écrit. L’histoire française a souvent trouvé la lumière dans ses propres ruines mais toujours au prix d’un pouvoir fort. Elle ne renaîtra que si l’on redonne sens au mot « citoyen » : non pas celui qui subit, mais celui qui participe. Il ne s’agit plus d’ajuster la loi, mais de refonder la confiance en l’avenir malgré les menaces qui nous entourent. Car une démocratie, un pays même, peut survivre à la pauvreté, à la colère, à la peur, sauf si ces fléaux engendrent la perte de foi en son propre nom.
GXC
illustrations :D.R