L' Honneur d'un petit juge
                            L’affaire du juge Éric Métivier illustre les zones grises où se croisent, en Corse, justice, politique et affaires
                        
                                                    
                        
                        L’honneur d’un petit juge
L’affaire du juge Éric Métivier illustre les zones grises où se croisent, en Corse, justice, politique et affaires. Ce magistrat, chargé d’instruire en 2023 une violente rixe à Porto-Vecchio, a été dessaisi en janvier 2024 par la première présidente de la cour d’appel de Bastia, Hélène Davo, en dépit de l’avis défavorable du procureur général. Un fait rarissime : depuis vingt-quatre ans, aucun juge d’instruction n’avait été récusé pour soupçon de partialité tout cela sur fond de rumeurs invoquant des pressions venues directement de l’entourage du président de la République.
L’affaire concernait l’agression de Guillaume Marcellesi, fils du promoteur Jean-Noël Marcellesi, par Antoine Bornea, beau-frère du propriétaire du domaine de Murtoli. Le père de la victime affirmait que cette attaque dissimulait une tentative d’assassinat organisée par le grand banditisme corse. Mais les investigations ont montré qu’il s’agissait, en réalité, d’une rixe violente, sans intention homicide.
Le juge qui a mis les pieds dans le marigot
Le dossier mêlait de supposées grandes manœuvres autour du domaine de Sperone et du site de Piantarella, joyaux du sud de l’île. En cherchant à comprendre les ressorts financiers de ces rivalités, Éric Métivier a marché sur un champ de mines : Jean-Noël Marcellesi, sémillant chef d’entreprise bien introduit dans les cercles du pouvoir, très ami avec un proche du président Macron, figure au cœur de ces affrontements. Il avait été mis en examen en mai 2014 pour escroquerie en bande organisée commise sept ans auparavant au détriment d’un oligarque russe, Vitaly Borisovitch Malkin. Étrangement, bien que l’instruction soit close depuis des années, l’affaire n’a toujours pas été jugée — un retard que beaucoup mettent à tort ou à raison sur la protection d’appuis politiques puissants.
Dans ce contexte, le dessaisissement du juge Métivier a pris la forme d’un signal : dans cette île si lointaine mais si proche de Paris et tellement fantasmée, il ne faut surtout pas bousculer les équilibres entre argent, influence et justice. Les magistrats corses, souvent exposés, savent qu’une enquête mal orientée peut leur coûter leur carrière.
Le combat d’un magistrat solitaire
Âgé de 67 ans, ancien avocat et cadre du BTP devenu juge tardivement, Éric Métivier s’est voulu à la fois investi et indépendant. Après son éviction, il a demandé sa mutation à Rennes. Mais sa hiérarchie, appuyée par la chancellerie, lui a refusé la prolongation d’activité prévue par le statut. Le magistrat a dû ferrailler pendant des mois pour faire valoir ses droits et obtenir les documents administratifs qui démontraient la qualité de sa carrière de magistrat. Le tribunal administratif lui a finalement donné raison, estimant que le refus du ministère était entaché d’« erreur manifeste d’appréciation ». Il a également stipulé que les manquements reprochés n’étaient pas établis désavouant la présidente Hélène Davo et le Garde des Sceaux. Éric Métivier a obtenu trois années supplémentaires, victoire saluée par nombre de ses pairs et des enquêteurs avec qui il a travaillé en Corse convaincus de « sa totale intégrité et de son très grand professionnalisme ».
Entre-temps, il avait été couvert d’injures et menacé de mort par Guillaume Marcellesi lui-même, auteur d’un compte anonyme sur les réseaux sociaux. Ce dernier a reconnu les faits et a été condamné à un an de prison avec sursis pour « outrage à magistrat » et « menaces ».
Une affaire moins sombre qu’annoncée
Avec le recul, les blessures de Guillaume Marcellesi se sont révélées sérieuses mais non vitales. La « tentative d’assassinat » se résumerait donc à une bagarre alimentée par des querelles d’honneur et la propagation de paroles homophobes dans le monde clos de Porto Vecchio. Il n’empêche qu’Antoine Bornea, le principal accusé, a été détenu quinze mois à cause de l’obstination de la hiérarchie judiciaire corse. La qualification initiale et le battage autour du dossier ont contribué à écarter le juge, transformant un différend local en pseudo-affaire mafieuse.
L’ombre du pouvoir et la légende noire de l’île
Pour nombre d’observateurs avertis, le malheur d’Éric Métivier a été d’avoir mis les pieds dans un marigot où se mêlent affairisme corse, réseaux parisiens et fidélités politiques. Hélène Davo, ancienne conseillère d’Emmanuel Macron à l’Élysée, présidente de la Cour d’Appel de Bastia, a tranché dans un climat saturé de pressions. Le petit juge reste persuadé d’avoir été puni pour avoir heurté le cercle des intouchables, ces acteurs économiques capables de tordre les institutions à leur avantage.
Dans cette affaire, la justice corse n’a pas seulement perdu un excellent magistrat : elle a révélé combien l’indépendance judiciaire demeure fragile dès lors qu’elle menace les puissants et ce à l’heure même où elle affirme vouloir combattre efficacement dans l’île la grande criminalité.
GXC
photo : GXC
 
                        