Royaume-Uni : la désunion en marche
Le Royaume-Uni traverse une phase de décomposition politique et identitaire avancée
Royaume-Uni : la désunion en marche
Un royaume fragmenté
Le Royaume-Uni traverse une phase de décomposition politique et identitaire avancée. Trois nations — Écosse, pays de Galles et Irlande du Nord — s’éloignent du centre londonien tandis que l’Angleterre, tentée par un repli souverainiste, se crispe sur elle-même. Le ciment historique — monarchie, empire, industrialisation, Église, syndicalisme — s’est dissous. L’identité britannique, jadis fédératrice, devient source de division.
L’Écosse entre fatigue et relance indépendantiste
En Écosse, le Parti national écossais (SNP), affaibli mais toujours dominant, tente de reconquérir un électorat fragmenté. Face à un afflux d’habitants venus d’Angleterre, souvent réticents à la sécession, les indépendantistes présentent désormais des candidats anglais pour élargir leur base. Le référendum de 2014 reste en mémoire, mais le Brexit a rouvert la plaie : 62 % des Écossais avaient voté pour rester dans l’Union européenne. Cette imposition du Leave, perçue comme un diktat anglais, a nourri un ressentiment durable. Le SNP relance sa stratégie d’« IndyHubs », espaces militants dédiés à la pédagogie de l’indépendance.
Le pays de Galles bascule
Au pays de Galles, la poussée de Plaid Cymru, parti indépendantiste, victorieux à Caerphilly, symbolise la défiance croissante envers les partis de pouvoir. Le Labour s’effondre dans un bastion minier qu’il détenait depuis un siècle, tandis que Reform UK de Nigel Farage progresse dangereusement. Cette recomposition traduit la rupture entre un électorat populaire attaché à la souveraineté nationale et une gauche traditionnelle incapable d’incarner une alternative. Le recul du gallois, langue emblématique, accentue le sentiment d’effacement culturel et attise les critiques contre les résidences secondaires détenues par des Anglais. L’identité galloise devient un enjeu politique autant qu’un refuge symbolique.
L’Angleterre, entre nostalgie et crispation
L’Angleterre, elle, reste prisonnière d’un « exceptionnalisme » hérité de l’empire. Le Brexit a révélé une nation qui confond indépendance et domination. Le mouvement « Raise the Colours », né en 2025, illustre cette dérive : brandissant l’Union Jack et la croix de Saint-Georges, ses partisans affirment un patriotisme agressif teinté d’hostilité à l’immigration. Ces manifestations anti-migrants, parfois violentes, traduisent un malaise social profond, nourri par la stagnation économique et le sentiment d’abandon des classes moyennes. L’extrême droite de Reform UK canalise cette colère et impose son agenda sécuritaire et identitaire.
Institutions en crise, symbole en déclin
Les fractures s’accumulent. La monarchie, fragilisée depuis la mort d’Élisabeth II, ne joue plus son rôle de repère. Le roi Charles III n’incarne pas la continuité, et les querelles familiales amplifient le désenchantement. Westminster peine à imposer une vision commune. Les politiques d’austérité et de dérégulation creusent les écarts territoriaux. L’Irlande, quant à elle, se rapproche d’une réunification symbolique sous l’impulsion de Catherine Connolly, présidente d’une République d’Irlande favorable à la réunion avec le Nord.
Vers un Royaume désuni
Les tensions identitaires se doublent d’une crise démocratique : le système majoritaire concentre le pouvoir à Londres et marginalise les nations périphériques. En Écosse comme au pays de Galles, la majorité estime que Westminster ne représente plus ses intérêts. L’idée d’un « Royaume désuni » devient une description politique. Les Anglais eux-mêmes peinent à définir leur propre identité, oscillant entre nostalgie impériale et rejet du multiculturalisme.
Un miroir européen inquiétant
La fragmentation britannique s’inscrit dans un climat continental plus large où la tentation autoritaire gagne du terrain. Des pays d’Europe centrale séduits par l’illibéralisme aux Pays-Bas où l’extrême droite progresse, jusqu’à la France où elle menace le pouvoir, partout l’insécurité culturelle et le désordre économique nourrissent les mêmes réflexes de repli. Dans un monde anxiogène, la peur remplace le projet collectif, et les démocraties, rongées de l’intérieur, cherchent un centre de gravité qu’elles ne trouvent plus.
GXC
Illustration D.R