1914-1918 : anni d’eroisimu è di dolu
Le carnage de 1914-1918 a sonné le glas du premier réveil corse.
1914-1918 : anni d’eroisimu è di dolu
Sur environ 52 800 Corses mobilisés et 2 000 à 3 000 engagés, entre 10 000 et 16 000 auraient succombé lors des combats, d’autres faits de guerre ou des suites de leurs blessures. Quant à la société corse, elle a été dévastée.
Combien de Corses ont péri du fait de la Grande Guerre ?
Durant des décennies, les réponses ont été dictées par des arrière-pensées idéologiques. Les jacobins, pour démontrer l’attachement des Corses à la « Mère patrie », et les régionalistes, autonomistes puis nationalistes, pour dénoncer une « Francia indegna », ont avancé des chiffres exagérés (30 000 à 48 000 tués).
Aujourd’hui, un consensus fait autorité : sur environ 52 800 Corses mobilisés et 2 000 à 3 000 engagés, entre 10 000 et 16 000 sont morts au combat, des suites de leurs blessures ou d’autres causes liées à la guerre.
Des sources différentes mais concordantes permettent de retenir cette fourchette.
Au début des années 1920, le Livre d’or des Corses, préfacé par le général Charles Mangin — l’un des stratèges de l’armée française durant la Grande Guerre —, mentionnait 10 000 morts. Les discours prononcés lors des inaugurations de monuments aux morts évoquaient de 10 000 à 12 000 morts.
À la fin des années 1960, René Sédillot, juriste, journaliste et historien, estimait réaliste une fourchette de 10 000 à 20 000. Dans le mythique Mémorial des Corses, on lisait « plus de 10 000 morts ».
Un ouvrage validé par le Centre régional de documentation pédagogique (CRDP) de Corse, distribué en 1982 dans les lycées et collèges, mentionnait 15 000 morts.
Roger Caratini a retenu une estimation de 10 000 à 12 000, tandis que les historiens Jean-Paul Pellegrinetti et Ange Rovere évoquent 10 000 à 16 000. Enfin, L’Encyclopédie de la Grande Guerre, publiée pour le centenaire, avance 16 000 morts.
Ces chiffres concordent avec les données extraites du site officiel du ministère des Armées, Mémoire des hommes.
10 000 ou 16 000, cela ne change rien
Un chiffre exact est impossible à établir, en raison des erreurs et variations de sources : omissions (morts de maladie non comptabilisés, mobilisés d’origine corse nés ou ayant vécu hors de l’île), doublons (noms gravés sur plusieurs monuments), différences de critères selon les listes locales.
Mais au fond, qu’ils soient 10 000 ou 16 000, cela ne change rien. Deux vérités demeurent :
tous les Corses engagés dans le conflit, ainsi que les familles qui les attendaient, ont été des héros ;
et la guerre de 1914-1918 fut un carnage dont les conséquences furent dévastatrices et durables pour la société corse.
Derrière les chiffres, il y a des vies. Des familles ont tremblé et prié chaque jour.
Des hommes ont vécu des mois dans un enfer d’acier, de feu, de boue, de gaz et de sang.
Beaucoup ont gardé à vie les séquelles de leurs blessures ou de l’inhalation des gaz.
D’autres ont ramené chez eux des mutilations ou des traumatismes irréversibles.
Les permissionnaires et démobilisés ont souvent propagé l’influenza, aggravant encore le deuil.
La Corse a compté près de 7 000 pupilles de la Nation.
Une société durablement dévastée
Le carnage de 1914-1918 a sonné le glas du premier réveil corse.
Au début du XXe siècle, la Corse, déjà frappée par un marasme économique et démographique (agriculture archaïque, industries déclinantes, émigration massive), avait commencé à réagir.
Le congrès de Corti en avril 1911 portait le mot d’ordre Corsica farà da sè !
En mars 1914, la revue bilingue A Cispra affirmait : « A Corsica ùn hè micca un dipartimentu francese, hè una Nazione vinta chì hà da rinasce ! »
Mais la guerre anéantit cet élan.
Dans la presse parisienne, les revendications corses suscitaient déjà des réactions hostiles : inquiétudes jacobines, moqueries sur « cette Corse dont une famille avait engendré deux tyrans », voire propositions d’échange territorial avec l’Allemagne pour récupérer l’Alsace-Lorraine.
Après 1918, l’esprit d’autonomie s’éteint au profit d’une fidélité proclamée à la Nation française, portée par la masse des anciens combattants.
À ceux qui contestaient ce conformisme, comme les muvristes ou certains intellectuels des années 1920, on opposait le souvenir des « morts pour la France ».
Le drame de 1914-1918 accentua encore le marasme. La Corse sortit de la guerre privée d’une part essentielle de ses forces vives.
Nombre de villages furent dépeuplés, remplis de veuves et d’orphelins. De nombreuses exploitations furent abandonnées. Pour beaucoup de familles, il ne resta que deux issues : l’exil ou l’assistanat.
JPB
Le 173e RI ou l’héroïsme corse
Composé pour l’essentiel d’hommes mobilisés en Corse, le 173e régiment d’infanterie incarne l’héroïsme corse durant la Grande Guerre.
Ce régiment, décoré de la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre puis de la Médaille militaire, reçut plusieurs citations à l’ordre de l’Armée.
L’une d’elles, après cinq jours de combats acharnés lors de la prise de la ferme Forté (commune de Grougis, Aisne) pendant l’offensive Foch de l’automne 1918, résume cet esprit de bravoure :
« Admirable unité de combat, sous l'impulsion généreuse du lieutenant-colonel Houssais, magnifique soldat tombé au champ d'honneur pendant la préparation d'une attaque ; puis du commandant Patacchini, a soutenu du 7 au 18 octobre 1918 des combats presque journaliers pendant lesquels il a donné les preuves des plus belles vertus militaires.
Forçant le succès par l'opiniâtreté de ses attaques, a enlevé à l'ennemi un important point d'appui très fortement organisé, défendu par une garnison nombreuse et résolue, et dont la chute a provoqué le repli de l'ennemi.
A poursuivi et bousculé pendant quinze kilomètres, puis attaqué l’adversaire retranché sur une nouvelle position, l’en a chassé après quatre jours de lutte acharnée et a conservé, malgré les plus violentes contre-attaques, un solide point d’appui chaudement disputé qui devait servir de base à une importante opération ultérieure.
A capturé pendant cette période un chef de bataillon, douze officiers, dix aspirants, six cents hommes de troupe, six minenwerfer et plus de quarante mitrailleuses.
Le général de division commandant la 1re Armée. »
Photo et illustration : JDC / Insigne régimentaire