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Frédéric Benetti, président du Tribunal de commerce d'Ajaccio

"La Corse- du-sud était déjà faible économiquement avant l'épidémie, la situation actuelle ne peut qu'aggraver les choses"
Frederic Benetti, président du tribunal de commerce d’Ajaccio

« La Corse-du-Sud était déjà faible économiquement avant
l’épidémie, la situation actuelle ne peut qu’aggraver les choses »


Le tribunal de commerce d’Ajaccio a fait sa rentrée solennelle mercredi dernier. Une rentrée et des voeux aux résonances particulières en raison du contexte sanitaire. L’occasion pour le président de l’institution, Frederic Benetti, de dresser le bilan de l’année passée et de s’exprimer sur l’état de l’économie insulaire.

Quelles ont été et quelles sont les répercussions de la pandémie sur l’activité de la
juridiction ?


En ce qui concerne les répercussion immédiates, il n’y en a pas pour le moment. Il n’y a aucune croissance concernant les ouvertures de redressements judiciaires , une baisse de 50% des taux de liquidation de redressement, et cela s’explique par la mise sous oxygène de l’ensemble des
sociétés de la Corse-du-Sud. La seule chose que l’on peut affirmer, c’est que pour le moment les entreprises sont sous perfusion.

Tout ce que l’on attendait de l’année 2019, qui n’a pas été aussi bonne que 2018, n’a pas eu lieu. En effet, nous devons avoir 6 mois de recul, or l’arrêt des activités en mars a tout arrêté, puis la mise en place début avril des PGE (Prêt garanti par l’État) ont eu pour conséquence de reculer les retombées de 2019. Pour le futur, on annonce un maintien de ces aides. Nous ne pouvons donc pas nous exprimer sur les conséquences immédiates de la pandémie tant que les entreprises seront aidées par le gouvernement qui a d’ailleurs bien fait les choses en terme de soutien.

Pensez vous que ces mesures d’aides aux entreprises sont suffisantes et adaptées ?

On ne peut pas considérer des aides comme suffisantes car ce qui est suffisant c’est le travail des entrepreneurs pour sauver leur affaire. Toutefois, elles permettent aux entreprises de passer le cap. Les statistiques sont à la baisse et cela signifie que les mesures ont fonctionné.
Pour combien de temps ? Nous ne pouvons pas le dire. Mais ce qui est certain, c’est que ces aides ont permis d’éviter des dépôts de bilans immédiats lors des deux confinements.
Le gouvernement lui-même se demande de quoi sera fait le lendemain, il essaye d’imaginer un soutien pour les mois qui viennent tout en ayant du mal à anticiper car il est difficile de deviner ce qui va se passer. Il faut reconnaitre que la situation est difficile à gérer et que le gouvernement a fait ce qu’il fallait pour sauvegarder la majorité des entreprises.

Les mois à venir sont-ils envisagés comme compliqués ? Des mesures spécifiques ont-elles été mise en place pour y faire face ?

Compte tenu de la dette que la crise sanitaire a généré, qui s’élèvera selon les médias aux alentours des 300 milliards d’euros, de nouveaux dispositifs sont difficiles à mettre en place.
En tout cas, concernant la Corse, la Collectivité a essayé de mettre en place le plan Salvezza qui prend en compte nos spécificités insulaires et donc notre situation géographique.
Le fait que nous soyons sur une île implique des coûts de transports non négligeables et ce plan met l’accent sur ces particularités. Donc aller plus loin dans les mesures, peut être pas, mais les adapter plus spécifiquement peut être que oui.

Les adapter plus spécifiquement, c’est-à-dire ?

Les pouvoirs du président du tribunal de commerce n’ont pas changé. Les armes d’hier sont les même aujourd’hui, elles ne sont ni améliorées ni amoindries : prévention, conciliation, redressement, liquidation… Nous sommes dans une période exceptionnelle mais nos armes sont identiques. Il ne faut toutefois pas oublier que le premier interlocuteur d’une entreprise en difficulté, c’est le tribunal de commerce. Je me bats pour que les entreprises comprennent que tribunal est en mesure de les accompagner.
Malheureusement, cette vision n’est pas encore intégrée par les chefs d’entreprises. Cela peut s’expliquer par la philosophie ancestrale du tribunal de commerce à l’époque de sa création en 1864 dont le but était de sanctionner. Mais les choses ont changé, aujourd’hui nous sommes là pour aider et assainir le tissu économique. Le tribunal de commerce est d’ailleurs composé à l’unanimité de commerçants, et c’est essentiel de le rappeler.

Il faudrait donc accorder des pouvoirs un peu plus élargis aux juges du tribunal de commerce, en leur permettant plus de flexibilité dans les réponses qu’ils rendent à propos de la gestion d’une entreprise. Il faudrait également des mesures qui prendraient en compte les frais de procédures. Ces derniers s’élèvent entre 6000 et 8000 euros, ce qui est loin d’être négligeable. Une prise en compte de ces frais procédure serait bénéfique.

Que peut-on dire de l’état du tissu économique corse ?

La grande spécificité de notre tissu économique est la connexion qu’il y a entre toutes les entreprises. Par exemple, lorsqu’un hôtel est totalement ou partiellement fermé, il a forcément besoin de moins de services. Les entreprises qui livrent le linge quotidiennement ou encore les fournisseurs sont également indirectement impactés par cette fermeture. On se focalise sur l’hôtel, pour qui c’est évidemment une catastrophe, sans forcément penser que le préjudice s’étend au delà. Le particularisme insulaire réside dans cette connexion entre quasiment tous les secteurs du tissu insulaire. On s’aperçoit que tout le monde a besoin de tout le monde, tandis que c’est peut-être plus dilué ailleurs. Ces spécificités géographiques impliquent que si nous ne nous aidons pas entre nous, personne ne pourra le faire.

Chez nous, quels sont les secteurs économiques les plus touchés par la crise ?

Les secteurs les plus impactés sont ceux de la desserte aérienne et maritime. Ce sont des secteurs très touchés. Certains avions ne volent qu’à 50% et cela s’explique par les contraintes liées au respect des normes de sécurité. Par exemple, l’obligation d’effectuer un test PCR, sans négliger son utilité, est un facteur qui dissuade certaines personnes de voyager.
Les agences de voyage sont également impactées mais d’une manière qui est à nuancer. Si on leur demande comment elles se portent, elle répondent qu’elles « tiennent ». Cependant, nous n’avons pas une entreprise pour « tenir », mais pour prospérer. « Tenir » le temps d’une crise grâce aux aides, c’est un fait. Le chômage partiel et les PGE sont des mesures qui permettent de « tenir » , mais est ce que cela permettra de rebondir ? Seul l’avenir nous la dira.

En terme de procédures collectives, quel est le bilan de l’année écoulée ?

En 2020, nous avons procédé à 2 sauvegardes , 47 redressements judiciaires, 48 liquidations judiciaires et nous avons accordé 38 plans à des entreprises en redressement.
Pour pouvoir comparer avec les années précédentes et se analyser la situation, voici les chiffres des années précédentes :
En 2019, il y a eu 0 sauvegarde, 101 redressements judiciaires, 71 liquidations judiciaires et 21 résolutions de plans pour des entreprises en plan de redressement qui n’arrivent plus à payer.
En 2018, nous avons procédé à 85 redressements judiciaires et 82 liquidations judiciaires
Les chiffres de 2020 s’expliquent donc par le fait que l’économie a été stoppée et de ce fait peu de gens se sont présentés devant notre juridiction.

Pour finir, quels sont vos objectifs pour 2021 ?

Mis à part se dire que nous allons rebondir, nous ne pouvons faire aucune prévision statistique. Nous n’avons aucun horizon devant nous et faisons face à de continuelles réorganisations : Il y aura t-il un confinement général ? Seulement les + de 65 ans ? Ou alors un couvre feu ? La fermeture des écoles ? La Corse-du-Sud était déjà faible économiquement avant l’épidémie, la situation actuelle ne peut qu’aggraver les choses.

Tant que le virus est là et qu’il mute, je suis dubitatif sur l’avenir. Je ne suis ni pessimiste ni
optimiste, mais réaliste.
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