• Le doyen de la presse Européenne

Bianca Fazi, conseillère exécutive en charge de la Santé

« Cette pandémie est un test pour l’humanité »
Le déconfinement est passé à la deuxième phase en début de semaine dernière. Avec l’ouverture des commerces, bars et établissements hôteliers, écoles, collèges et lycées, c’est un retour progressif à la normale qui s’opère un peu partout. La Corse n’y échappe pas à l’exception du milieu scolaire toujours au ralenti. Avec la saison qui s’annonce et une baisse singulière de la pandémie, la crise serait-elle derrière nous ? Quid de la réforme sanitaire prévue par le Gouvernement. Autant d’interrogations sur lesquelles Bianca Fazi conseillère territoriale en charge de la santé revient pour nos lecteurs.

Où en est la crise sanitaire à ce jour en Corse ?
Nous n’avons aucun cas à déplorer dans l’île. Pour autant, il faut rester prudent. On ne peut pas dire que la pandémie recule puisque le virus circule toujours. De temps en temps, un cluster s’allume quelque part en Europe… Restons très prudents et respectons à la lettre les gestes barrière.

Aucune certitude donc ?
On est face à un virus qui est inconnu. Il donne l’impression de baisser mais on ne sait pas comment il va se comporter. Personne ne peut avancer de certitudes quant à ce repli. Pas même le Gouvernement qui se fixe des étapes à trois semaines d’intervalle. La Corse a été fortement impactée. Il a suffi de trois personnes rentrées de Mulhouse pour saturer les services de réanimation. Il convient, à cet effet, de rendre hommage aux personnels de l’hôpital d’Ajaccio, qui ont su être réactifs. Ce ne sont pas les politiques ni l’Etat, mais l’hôpital qui a su réagir en multipliant, dans un délai relativement court, par quatre, sa capacité en réanimation. Contre une moyenne nationale de l’ordre de deux et demi…

La CdC s’est prononcée en faveur du green-pass. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Beaucoup de pays européens prennent des dispositions dans ce sens. Et je tiens à préciser, qu’en Corse, contrairement à ce que beaucoup ont avancé, cette initiative ne relève pas du Président de l’Exécutif. On a fait appel à un comité scientifique qui a modélisé un schéma. Nous sommes une petite île de 330000 habitants. Et il faut savoir que la prévalence-nombre de gens susceptibles d’être malades est en Europe calculée à 0,2%. Ce qui signifie que sur 250000 entrants, il peut y avoir 500 personnes malades dont 5% seraient des cas graves. Sur la base de 250000 arrivants, cela nous donnerait 26 cas graves. Sachant que l’été, les services urgentistes ont de nombreuses autres pathologies à gérer (accidents de voiture, noyades, accidents de plongées…), la capacité en réa sera très vite saturée. Les scientifiques ont donc travaillé de manière à réduire ce risque par des tests en amont. Les risques seraient, alors, divisés par cinq. Cette mesure va, comme dans d’autres pays d’Europe, permettre un flux touristique tout en garantissant la sécurité au niveau sanitaire.


« Il est nécessaire de trouver un point d’équilibre entre la saison touristique et l’aspect sanitaire. »



Pour autant, certains sont opposés à cette mesure en Corse, notamment les socio-professionnels. Qu’en pensez-vous ?
Ils considèrent que c’est un handicap. Je ne pense pas. Les personnes qui partent en vacances préfèrent être contrôlées en amont plutôt que d’attendre diverses mesures longues et coûteuses à l’aéroport (contrôles, quatorzaine…). Le Premier Ministre a annoncé, la semaine dernière, la libre circulation sur l’ensemble du territoire. Quoiqu’il en soit, il faudra nécessairement proposer quelque chose de fiable. Et non un simple numéro vert avec rapatriement sanitaire. Il est nécessaire de trouver un point d’équilibre entre la saison touristique et l’aspect sanitaire. Je comprends très bien les inquiétudes des socio-professionnels mais d’un autre côté on ne peut pas prendre de risques sanitaires. Nous voulons des garanties. Les personnels soignants sont fatigués, sans congé, nous sommes toujours en plan blanc, il faut tenir compte de cette situation et des risques encourus par les malades. Certains ont perdu des membres de leur famille, on ne peut pas faire n’importe quoi. Nous sommes dans une île, avec une capacité sanitaire limitée…

Edouard Philippe a évoqué une réforme du système de santé. Vous satisfait-elle dans ses grandes lignes ?
On attend plus d’informations du Gouvernement. La crise du Covid aura, malheureusement démontré ce que nous mettons en exergue depuis des années, un système hospitalier public défaillant. Dans cette réforme, on assistera, en premier lieu, à une revalorisation des salaires. Dans le paramédical, les infirmières ou les aides-soignantes sont parmi les moins payées d’Europe. Le Gouvernement a l’air d’avoir pris enfin la mesure de la situation. En Allemagne, on note 25000 lits de réa pour 80 millions de personnes, la France n’en possède que 7000 pour 60 millions.

Quelle place pour la Corse dans cette réforme ?
J’espère que nous allons être pris en compte. J’avais établi une feuille de route en juillet 2018 dans laquelle j’avais demandé plus de moyens et un la création d’un CHR. Je pense que nous devons en Corse sortir de cette dichotomie entre Ajaccio et Bastia et aller de l’avant. Et je souhaite que l’on tire les leçons de la crise du Covid pour avoir, dans l’île, quelque chose de partagé. Y compris avec le privé. La Corse doit disposer de plus de lits d’hospitalisation. Il faudra aussi former plus d’internes pour éviter les déserts médicaux dans certaines microrégions.

Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, déclarait, récemment que les vertus retrouvées grâce à la pandémie devaient servir de fondation pour cette réforme. Qu’en pensez-vous ?
Je partage tout à fait son analyse. Il y a parfois des tensions entre les services. Cette crise a permis de retrouver une unité et l’envie de travailler ensemble et cela s’est perçu dans toutes les régions. Néanmoins, si le gouvernement ne fait pas le nécessaire, les soignants vont s’unir pour montrer, cette fois, leur mécontentement. C’est notre travail, nous avons été formés pour cela. Pour autant, le Président de la République a parlé, dans sa toute première allocution d’une guerre. Et quand il y a une guerre, il faut des moyens de lutte. L’Allemagne a précisé que cette pandémie était un test pour l’humanité, je partage tout à fait ces propos. On verra, dans les semaines et mois à venir, la manière avec laquelle se comportent les corps de métiers, les habitants et les gouvernants. Aujourd’hui, le travail effectué par certains, je pense notamment à tous ceux qui sont restés sur le devant de la scène en pleine crise (caissières, éboueurs…) n’a pas été suffisamment souligné. Et quand on voit les polémiques sur l’ouverture des plages, je pense que certains ne prennent pas conscience du danger. Il faut faire preuve d’humilité et ne pas oublier que des personnes ont perdu la vie. J’espère que les gens prendront conscience que cette crise ne va disparaître du jour au lendemain, qu’elle implique des contraintes. Les conséquences économiques seront très graves, il faudra se serrer les coudes. Et je pense surtout aux personnes qui sont touchées par la précarité. Les Corses devront montrer toute leur solidarité.
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