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Vote par correspondance : on a failli y revenir

Il s’en est fallu de peu pour que le COVID 19 qui permet déjà de restreindre nos libertés et de davantage nous « fliquer », nous ramène à des fantaisies électotales d’avant 1975.
Dans la perspective de la tenue du second tour des élections municipales, jugeant que l’épidémie COVID 19 est « toujours en cours », que cela « suscite une peur légitime » et que cela pourrait inciter les électeurs « à considérer que voter n’est pas possible pour eux », le maire de Nancy, Laurent Hénart, a écrit au Premier Ministre pour lui proposer de mettre en place un vote par correspondance. Présidente de la Métropole Aix-Marseille et candidate à la mairie de Marseille, constatant que « le virus est toujours là », Martine Vassal a préconisé un recours au vote par correspondance « comme cela se faisait avant. » Ce mode de votation était effectivement, comme l’a indiqué Martine Vassal, utilisée « avant » à l’occasion des scrutins politiques. Heureusement, le ministre de l'Intérieur a répondu négativement et expliqué : « le vote par correspondance a été supprimé en 1975 car il prêtait à manipulation. » Christophe Castaner a ainsi rappelé que la présidence de la République avait à l’issue du conseil des ministres du 12 novembre 1975 communiqué : « Un projet de loi modifiant certaines dispositions du code électoral et du code de l'administration communale a été adopté (…) Le vote par correspondance est supprimé. Il est remplacé par un vote par procuration pour toutes les personnes que d'impérieuses obligations professionnelles ou une incapacité physique mettent dans l'impossibilité de participer au scrutin. » Cette suppression qui visait à renforcer la sincérité des scrutins résultait beaucoup du contexte corse d’alors. En effet, chez nous, le vote par correspondance était devenu au fil des ans un mode de votation dévoyé et une arme de fraude massive aux mains des élus de tous bords.


Manipulation et fraude
Le vote par correspondance était utilisé massivement. Ce qui contrevenait à son caractère d’exception qui était prévu par l’esprit et la lettre de la loi de 1946 qui l’avait instauré. Ainsi, lors des élections législatives de mars 1967, à l’échelle de l’île, 26 000 suffrages avaient été exprimés par correspondance (14 % des inscrits, plus de 25% des votants). De plus, de nombreux votes par correspondance émanaient d’électeurs n’ayant pas demandé à utiliser ce mode de votation. Ainsi le Conseil constitutionnel (décision 67-435 du 24 janvier 1968) avait constaté dans la cadre d’un contentieux concernant des élections à Bastia : « De nombreux votes par correspondance n'émanent pas d'électeurs ayant demandé à utiliser ce mode de votation. » Par ailleurs, plusieurs techniques de manipulation des électeurs ou de fraude étaient à déplorer : envoi d’un seul bulletin de vote par correspondance à des électeurs pouvant se déplacer (on s’assurait ainsi de fidélités douteuses) ; établissement et envoi de bulletins falsifiés afin de faire voter des inscrits qui n’avaient plus de contacts avec la commune mais étaient encore inscrits sur les listes électorales… Les événements d’Aleria en août 1975 et la contestation de la légitimité électorale des élus par les autonomistes ont fortement incité Valéry Giscard d’Estaing et son gouvernement à mettre fin au vote par correspondance. Cela n’a certes pas suffi à éradiquer la manipulation d’électeurs « fidèles » et la fraude mais représentait néanmoins un progrès notable dans le sens de la sincérité des scrutins. Nous l’avons donc échappé belle. Il s’en est fallu de peu pour que le COVID 19 qui permet déjà de restreindre nos libertés et de davantage nous « fliquer », nous ramène à des fantaisies électotales d’avant 1975.
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