L'hydre mafieuse

L'Hydre mafieuse
Parvenir à extirper une mafia d’un territoire demande de la part des États une intervention extraordinaire et constante dans le temps.

Huit attentats à l’explosif ont dernièrement dévasté des locaux d’entreprises et de commerces dans la province de Foggia située dans les Pouilles, une région de plus de 4 millions d’habitants qui constitue le talon de la botte italienne. Il ne s’agissait pas d’une première.
Déjà, en 2020 et 2021, des attentats similaires avaient été commis en janvier. Selon les policiers et les carabiniers, tous ces actes criminels ont été programmés, organisés et perpétrés par des membres de la Quatrième mafia, et un élu local a quasiment sommé la ministre de l’Intérieur de se rendre sur les lieux et d’annoncer des mesures concrètes pour contrer « une stratégie mise en œuvre par une association mafieuse ». Il a été entendu. La ministre a fait le déplacement et assuré que l’État italien réagira fermement. Mais que désigne le terme « Quatrième mafia » ? Il identifie une criminalité organisée qui reste moins connue que la Cosa Nostra, la ‘Ndrangheta ou la Camorra. Cette moindre notoriété est due à deux facteurs.
D’une part, la Quatrième mafia n’est apparue qu’au début des années 1980 après que la Camorra ait échoué dans sa tentative d’intégrer en son sein les bandes criminelles des Pouilles, et plus particulièrement celles de la province de Foggia.
D’autre part, la dangerosité de cette nouvelle venue a longtemps été sous-estimée. Un haut magistrat a d’ailleurs reconnu et déploré : « Il nous a fallu trente ans pour nous rendre compte que nous avions affaire à un sérieux groupe mafieux (…) C’est une mafia caractérisée par une grande violence. C’est ce que j’appelle une mafia primitive, qui donne les cadavres à mangers aux cochons pour ne laisser aucune trace. » La Quatrième mafia est d’autant plus dangereuse que tout en usant des rites, de la violence et de la cruauté d’une « mafia primitive », elle s’est rapidement adaptée au monde moderne. En effet, selon les enquêteurs, elle a opéré un « salto qualitativo » en ajoutant au caractère ancestral et à la férocité de ses méthodes, un affairisme performant et une vocation entrepreneuriale.
La DIA (Direzione Investigativa Antimafia) considère que la combattre est « une urgence nationale » et nécessite « une intervention extraordinaire et constante dans le temps », et ce, particulièrement contre la Società Foggiana, principal clan de la Quatrième mafia ancré dans la province de Foggia, dont les familles vont jusqu’à infiltrer les sphères politique et administrative.

Un travail d’Hercule

Etant confronté à ce que la DIA appelle une « métastase tumorale », l’Etat italien n’est pas inactif. Des centaines de personnes ont été arrêtées dans le cadre d’opérations anti-mafia. En février 2020, il a été créé une nouvelle section d’intervention au sein du Centre opérationnel régional de la DIA.
En novembre 2020, à la suite de mandats d’arrêt émis contre quarante suspects accusés notamment d’association mafieuse, de racket, de prêt usuraire et de trafic de drogue, une opération policière a visé les familles de la Società foggiana, le principal clan de la Quatrième mafia. Enfin, l’an passé, quatre communes ont été placées sous un régime de gestion extraordinaire à cause de liens avérés de certains élus municipaux avec la Quatrième mafia. Ce régime relève d’une loi qui autorise les autorités à dissoudre les conseils municipaux (et plus largement toute entité administrative) accusés d’infiltration mafieuse, et de confier durant dix-huit mois l’administration des communes concernées à des commissaires extraordinaires du Gouvernement.
Cependant, tout comme de nombreux acteurs locaux, un magistrat de Foggia juge que tout cela reste insuffisant : « L’État n’est pas très présent dans cette région, qui semble abandonnée et oubliée […] Si nous voulons nous battre, il nous faut convaincre les gens que l’État est de leur côté. » Les attentats qui ont été perpétrés ces derniers jours lui donnent raison. Ils confirment que le phénomène mafieux est comparable à l’Hydre de Lerne et que le combattre relève d’un travail d’Hercule. En effet, tout comme la Cosa Nostra, la ‘Ndrangheta ou la Camorra, la Quatrième mafia est un monstre à plusieurs têtes qui a la faculté de les faire repousser si on les coupe. Parvenir à extirper une mafia d’un territoire, comme l’a fait Hercule avec l’Hydre de Lerne en coupant la tête du milieu qui assurait l’immortalité du monstre, demande donc comme le préconise la DIA : « une intervention extraordinaire et constante dans le temps ».
Il convient par ailleurs de retenir que si l’on considère la capacité d’adaptation des réseaux mafieux et leur capacité d’étendre leur rayon d’action ou d’échanger (par exemple la Quatrième mafia entretient des liens étroit avec les mafias des Balkans), il y a matière à s’inquiéter d’un risque d’implantation chez nous ou du moins d’une contagion des méthodes. Cette inquiétude est d’autant plus légitime qu’à ce jour la prise en compte par l’Etat français des phénomènes mafieux est bien moindre que celle dont fait preuve l'Etat italien. Maffia No’, a Vita Iè et le Culletivu Anti Maffia Massimu Susini ont du pain sur la planche ...





Alexandra Sereni