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Socialistes et Autonomie : vieux comb ats, vrais débats

" Parce que les socialistes , nous voulons l'égalité réelle pour la Corse "

Socialistes et Autonomie : vieux combats, vrais débats


Les signataires de la contribution « Parce que socialistes, nous voulons l’égalité réelle pour la Corse » réveillent certes de vieux combats. Dans la contribution, il est cependant aussi des problématiques qui méritent d’être soumises au débat aussi bien chez nous que dans l’Hexagone. Dommage que dans la conclusion de leur texte, les signataires semblent catégoriquement fermer la porte au compromis.

Dans le cadre des débats préparatoires du 81ème congrès de leur parti qui aura lieu du 13 au 15 juin 2025 à Nancy, une quarantaine d’élus (dont de nombreux sénateurs) et quelques cadre du Pari socialiste (dont Jean-Marc Ciabrini, ancien premier secrétaire de la fédération de Corse-du-Sud, resté le vrai patron de la fédération, et Jean-Baptiste Luccioni, maire de Petrusedda, qui a porté dans la deuxième circonscription de Corse-du-Sud, les couleurs de son parti et du Nouveau Front Populaire lors du premier tour des dernières élections législatives) ont fait part de leurs réserves et de leurs interrogations concernant la démarche qui pourrait conduire la Corse à un statut de large autonomie et aussi et surtout concernant le contenu de ce statut. Ils l’ont fait en élaborant et signant une contribution intitulée « Parce que socialistes, nous voulons l’égalité réelle pour la Corse ».
Emmanuelle de Gentili, première secrétaire de la fédération de Haute-Corse, qui siège avec d’autres socialistes au conseil municipal de Bastia en qualité de première adjointe au maire autonomiste Pierre Savelli, a tenu à relativiser l’importance et l’impact éventuel de ce document : en affirmant que, selon elle, au sein de son parti, la tendance est « plutôt favorable à la réforme pour la Corse » ; en rappelant qu’il y a toujours eu des oppositions au sein de son parti lors de chaque perspective d’évolution institutionnelle. L’intéressée n’a a priori pas tort de relativiser car le Parti socialiste a, depuis un demi-siècle, toujours porté et fait accepter les grandes évolutions institutionnelles ayant concerné la Corse, et car les réticences exprimées par les signataires de la contribution semblent à première vue ne réveiller que de vieux combats internes dont les protagonistes favorables aux évolutions institutionnelles sont toujours sortis vainqueurs. Flashback le confirmant !
Au début des années 1980, après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le Parti socialiste qui défendait l’instauration d’un statut particulier pour la Corse (proposition de loi rédigée par Dominique Taddei, professeur des universités, secrétaire national du Parti socialiste, député socialiste de Vaucluse entre 1978 et 1985), fait adopter, par le Parlement, le statut Defferre malgré l’opposition d’une grande partie de la gauche de Corse et les réserves de quelques responsables et militants socialistes de Corse. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, durant le second septennat de François Mitterrand, c’est sous l’impulsion du socialiste Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, que sont créées les conditions pour que la Région corse devienne une collectivité territoriale (Collectivité Territoriale de Corse) dotée d’un exécutif et d’une assemblée délibérante, et d’importantes compétences propres. Des hiérarques socialistes ayant dont certains ont l’oreille de François Mitterrand - notamment André Laignel, par ailleurs très écouté par les élus locaux de tous bords ; Michel Charasse, par ailleurs très influent au Sénat et qui avait des attaches en Corse - manifestent leur hostilité mais ne sont pas suivis. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, le processus de Matignon initié par Lionel Jospin, aboutit à un renforcement des avancées décentralisatrices du statut Joxe en dotant de nouvelles compétences la Collectivité Territoriale de Corse. Enfin, en 2017, durant le mandat de François Hollande, est instaurée la Collectivité unique (Collectivité de Corse) qui fond en un seul bloc l’échelon régional et les deux échelons départementaux du pouvoir local. Au niveau insulaire, surtout après la mise en œuvre du processus Joxe (début des années 1990) et jusqu’à la fin de la première décennie des années 2000, le Parti socialiste a été, en son sein, en proie à de rudes oppositions entre partisans et adversaires d’ambitieuses évolutions institutionnelles.
Les premiers ont eu pour chef de file, Laurent Croce, qui a présidé aux destinées de la fédération de Haute Corse du début des années 1980 jusqu’au début des années 2010. Les seconds étaient rangés derrière Jean Motroni qui était alors conseiller général d’un canton du Cap Corse, et qui, au milieu des années 1990, a été clairement rejoint dans son positionnement par Jean-Marc Ciabrini, devenu premier secrétaire de la fédération de Corse du Sud. Ces rudes oppositions ont nuit au développement dans l’île du parti de la rose au poing.
Par ailleurs, les électeurs corses n’ont guère été reconnaissants au Parti socialiste d’avoir été à l’origine de quatre évolutions institutionnelles et aussi de deux amnisties de militants nationalistes. Les signataires de la contribution « Parce que socialistes, nous voulons l’égalité réelle pour la Corse » réveillent certes de vieux combats. Dans la contribution, il est cependant aussi des problématiques qui méritent d’être soumises au débat aussi bien chez nous que dans l’Hexagone, surtout si l’autonomie qui serait obtenue, serait de plein droit et de plein exercice, c’est-à-dire comportant une dose conséquente de pouvoir normatif échappant au contrôle de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Sept problématiques

Première problématique
, un risque de rupture d’égalité qui nuirait aux Corses du fait que certaines forces politiques et économiques pourraient user de l’évolution institutionnelle pour satisfaire des appétits de pouvoir ou de profit : « L’autonomie, en soi, ne veut rien dire. Mais elle pourrait finir par tout permettre. Il suffit d’entendre Laurent Wauquiez, prêt à s’affranchir des normes environnementales, ou Valérie Pécresse réclamant une Éducation régionale.
Chacun dans sa région veut échapper aux règles communes établies par le Parlement, en rupture avec la conception originelle de la République, de la décentralisation et du lien entre citoyens. »
Deuxième problématique, le débat institutionnel ayant été relancé par un choc émotionnel et un sentiment d’urgence a produit des démarches et des réponses insuffisamment réfléchies ou mûries : « 2 mars 2022, Yvan Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Claude Erignac commis en 1998, est agressé en prison par un autre détenu. Une semaine après, des émeutes aux cris de « État français assassin » éclatent sur l’île […] Le 10 mars, le président de la Collectivité Territoriale de Corse (sic) appelle à l'ouverture d'un nouveau cycle politique en Corse. Le 16 mars, le ministre de l’Intérieur annonce être prêt à envisager l’autonomie. Yvan Colonna décède le 21 mars [...] Le gouvernement a craint d’être déstabilisé à quelques jours du scrutin présidentiel et a acheté temporairement la paix civile par des engagements intenables et suffisamment flous pour que chacun puisse y voir matière à calmer le jeu. […] Ce n’est pas un grand dessein institutionnel qui a motivé les propositions du gouvernement, mais la peur. »
Troisième problématique, une possible dérive pouvant conduire de la décentralisation et la prise en compte des spécificités corses jusqu’à une déchirure du pacte républicain et une logique de différenciation reposant sur des bases identitaires : «
Historiquement, la gauche a porté les grandes avancées décentralisatrices, non pour encourager des revendications identitaires, mais pour renforcer la démocratie locale. Et parallèlement des moyens importants ont été apportés à la Corse pour valoriser et promouvoir sa langue et sa culture. Or, la différenciation institutionnelle que l'on tente d'imposer aujourd'hui est une remise en cause de cette logique, substituant au projet républicain une fragmentation féodale des compétences [...] En donnant les mêmes droits à un parisien, à un gascon ou un breton, la Révolution française a entériné l’égalité républicaine entre tous les citoyens.
À l’inverse, l’autonomie législative permettrait à une collectivité d’avoir des lois différentes de sa voisine, sans contrôle du Parlement. Ce n’est pas une mesure de décentralisation (qui donne les mêmes compétences à toutes les collectivités territoriales d’une même échelle), mais de différenciation poussée à l’extrême.»
Quatrième problématique, une exposition conséquente au risque de communautarisme : « La France est composée de centaines de cultures locales et de petits pays. Ils font sa vitalité. Parce qu’ils sont si nombreux, vouloir les distinguer, c’est prendre le risque de rompre le pacte par lequel ils ont décidé de vivre ensemble [...]
Aux termes de l’accord préliminaire négocié avec l’exécutif insulaire, « la Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, ayant développé un lien singulier à sa terre. » En d’autres termes, il s’agit de doter une communauté, le terme de peuple ayant été écarté pour la forme, de droits spécifiques du fait de sa seule appartenance. Il ne s’agit pas d’autre chose que d’une institutionnalisation du communautarisme. »
Cinquième problématique, l’existence d’un potentiel de contagion à d’autres territoires : « Accorder l’autonomie à la Corse ouvrirait la boîte de Pandore.
Contrairement à certaines îles du Pacifique et des Antilles ayant connu le statut de colonisé et/ou d’indigénat, aucun critère historique ne justifie d’accorder un statut si différent. Cela ne pourra que susciter des demandes similaires en provenance des autres régions. »

Sixième problématique, le risque d’aller vers une acceptation et une légitimation des inégalités territoriales : « Les régions les plus pauvres sont aidées par les plus riches, et c’est très bien comme cela […] Le « fédéralisme fiscal » est le plus souvent un facteur de creusement des inégalités […] On comprend donc que beaucoup de régions aient intérêt à ce mouvement, et particulièrement les plus riches. Valérie Pécresse n’a-t-elle pas proposé la régionalisation du SMIC et donc un SMIC élevé à Paris ? »
Septième et dernière problématique, le débat institutionnel contribue à faire oublier les difficultés majeures auxquelles l’île est confrontée : « L'urgence n'est pas de modifier son statut mais d'apporter des réponses concrètes aux enjeux du logement, de la santé et de l'économie. »

Dommage...

Vieux combats mais vrais débats, cela laisse-t-il une porte ouverte ? Pourrait-il au moins émerger de discussions avec les signataires (sur les problématiques susmentionnées), l’acceptation d’une évolution institutionnelle a minima ? C’est-à-dire sans octroi de pouvoir législatif. Rien n’est moins sûr. En effet, aussi bien dans l’évocation de la problématique que dans la conclusion de la contribution, il est opposé un refus catégorique de toute reconnaissance d’une « communauté historique, linguistique, ayant développé un lien singulier à sa terre : « Refusons le mirage de l’introduction […] du communautarisme dans la Constitution qui instituerait une rupture d’égalité. » Ce qui revient à nier l’existence même des Corses d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Ce qui est inacceptable pour le plus modéré des autonomistes ou même tout Corse ne voulant pas renoncer à pérenniser ce que ses aïeux, sa terre et l’histoire ont fait de lui, et à ce qu’il veut faire de sa descendance. Dommage...


Pierre Corsi

Crédit photo (Gaston Defferre) : Ministère de l'Intérieur, Archives Naionales
Crédit photo (Pierre Joxe) : Wiki Commons, Flickreview
Crédit photo (Lionel Jospin) Wiki Commons, Édouard Hue
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