Arte Mare, Promis le ciel d'Erige Sehiri/ La Tunisie comme jamais !.....
Promis Le Ciel, film généreux . Tendre. Bienveillant
Arte Mare, « Promis le ciel » d’Erige Sehiri
La Tunisie comme jamais !...
« Promis le Ciel », film généreux. Tendre. Bienveillant. Film de femmes réalisé par Erige Sehiri. Long-métrage représentant la Tunisie à la compétition méditerranéenne du festival Arte Mare. « Promis le Ciel » comme une réconciliation d’avec une époque mortifère.« Promis le Ciel », un contexte impitoyable mais que le rire, les chants, la danse teintés de spiritualité des protagonistes féminines – reines de l’écran – pansent… Façon de faire reculer le mal. De le maitriser.
Marie, Naney, Jolie, originaires de Côte d’Ivoire vivent à Tunis, ville qui est un peu leur auberge espagnole. Marie (Aïssa Maïga) est la guide et la tête pensante de sa communauté religieuse. Naney (Deborat Christelle) rêve un peu d’une échappatoire ultramarine mais est avant tout la bonne copine toujours prête à donner un coup de main. Jolie (Laëtitia Ky), étudiante est une future ingénieure.
Un jour survient Kenza, 4 ans, rescapée d’un naufrage en Méditerranée. Gamine espiègle qui conquiert vite le cœur de celles qui l’accueillent. Toutes les quatre face à la caméra d’Erige Sehiri sont formidables de présence. Kenza est l’incarnation de la vitalité, du bonheur de vivre même si sa maman ne lui répond jamais au téléphone ! Jolie… est jolie, tantôt méditative tantôt au bord de la révolte. Marie, la pasteure, est une belle personne dont les sermons émeuvent ses paroissiens. Elle est aussi une femme pleine de délicatesse, d’attentions aux autres tout en restant pragmatique au quotidien. Naney, la débrouillarde, ne plie pas devant le machisme et autres coups du sort.
Kenza, Jolie, Naney, Marie parviennent à surmonter leur détresse, les aléas guère réjouissants de leur vie grâce à leurs tempéraments qui convoquent aux moments difficiles rire, chants, danses. En les regardant on se croirait réellement à Abidjan, Cotonou ou Ouagadougou. Certes les instants bienheureux ponctués d’une gaité si naturelle n’arrivent pas à faire complètement l’ambiance délétère que font régner les champions de l’ordre : la police.
Traque, rafles des peaux noires sans distinction. Chasse à l’étranger de couleur foncés. Répression avec des hauts et des bas dictés par ceux qui décident. Décrètent. Ordonnent… Le pouvoir tunisien n’est-il pas sommé par l’UE d’empêcher les traversées maritimes vers l’Europe du sud, alors c’est le retour périodique du bâton et de la bastonnade ! Sauf qu’il y a des citoyens tunisiens noirs. Sauf qu’il y a des subsahariens installés légalement en Tunisie. Sauf qu’il y a également des gens d’au-delà du Sahara qui ne souhaitent pas se retrouver à Lampedusa ou dans les camps de « rétention » grecs.
80 % des migrations en Afrique se font entre Etats africains. Phénomène plutôt inconnu des européens. Phénomène qui en outre est ancien. En effet les frontières imposées par les colonisateurs ont découpé le continent africain à la tronçonneuse au mépris de l’histoire des grands empires érigés en Afrique de l’Ouest depuis plus d’un millénaire. Grands empires et royaumes recentrés autour de villes importantes. Mais les limites de ces empires et de ces royaumes n’ont jamais empêché les gens d’aller là où ils en avaient envie, où là ou un souverain ou une parentèle les appelaient, à moins que ce ne soit la soif d’un ailleurs plus fertile ou mieux situé sur des axes de communication ! Depuis des siècles et des siècles les Africains migrent au fond chez eux… Par instinct de panafricanisme ? Pourquoi pas !
Michèle Acquaviva-Pache
ENTRETIEN AVEC EIRIGE SEHIRI, cinéaste tunisienne.
Pourquoi avoir tourné, « Promis le Ciel » dont le sujet est inattendu ?
Ce qui m’a passionné avec « Promis le Ciel » c’est d’aborder la question des migrations au féminin. Je voulais montrer la vie de ces chrétiennes subsahariennes dans un pays musulman,ce qu’est la Tunisie. Je voulais mettre en lumière que, si elles étaient différentes par leurs goûts, leur statut social, leur niveau d’éducation, elles évoluaient dans une communautéqu’elles avaient construites à leur image. Je voulais souligner, à la fois, ce que leurs réactions avaient de commun et ce qui les distinguait…
L’activité de pasteure de Marie est tolérée ?
Elle a déclaré son église en tant qu’association. Son local n’est pas voyant. Ce sont uniquement les paroissiens endimanchés pour venir au culte le jour du Seigneur, qui pourraient retenir l’attention. D’ailleurs quand prosélytisme il y a, c’est seulement entre chrétiens subsahariens. Ces communautés sont intéressantes parce qu’elles signent une expression de la diversité humaine à Tunis, qu’elles sont dans un équilibre d’entre-deux qui est très fragilisé lorsque la police se lance dans un cycle répression !
L’attitude des autorités, qui ont soutenu votre film, n’est-elle pas surprenante ?
En Tunisie, dans le domaine culturel nous avons conservé nos acquis, y compris lorsque le climat se durcit. J’ai pu constater qu’il y a une différence entre les institutions en charge de la culture et la police. On a tourné cinq semaines dans une communauté subsahérienne en toute sérénité et bonne humeur.
Les subsahériens de Tunis souffrent-ils du racisme ? Et à quel degré ?
Le racisme à leur encontre n’est pas systémique ? Certes il y a du déni en la matière, mais le racisme n’est pas instrumentalisé par l’Etat. Rappelons que la Tunisie compte des citoyens noirs.
Le titre de votre film, « Promis le Ciel, quelle signification lui donnez-vous ?
« Promis le Ciel » se réfère aux promesses du divin, à celles des églises, à celles de la mère qui promet à sa fille restée au loin de la faire venir près d’elle à Noël, à celles de l’Etat qui assure ses concitoyens qu’il respectera les droits humains et ceux des enfants. Lorsqu’on prie le Ciel c’est qu’on en attend quelque chose… « Promis le Ciel » est aussi le nom d’une chanson du groupe caribéen, Delgrès, groupe engagé, qui fait du rock et du blues. Je l’ai découvert en écoutant une émission de France Culture sur l’évangélisme. Les interrogations de Naney ont encore une dimension philosophique, par exemple, quand elle évoque la question du « pouvoir » et du « vouloir ». M’arrêter juste sur l’actualité ne m’aurait pas suffisamment motivée, il me fallait quelque chose de plus.
Vos comédiennes, comment les avez-vous choisies ?
J’ai d’abord rencontré celle qui joue Naney dans une communauté évangélique. Lors de son audition elle a été épatante et son histoire a enrichi mon récit. Jolie, qui interprète l’étudiante, je l’ai découverte sur Instagram à Abidjan. Elle avait déjà tourné dans un film et fait de la sculpture sur cheveux. Kenza je l’ai repérée dans une église. Elle est d’un naturel très énergique et est très rigolote. Pour le rôle de Marie, la pasteure, j’ai pensé assez vite à Aïssa Maïga pour son professionnalisme de comédienne et pour sa façon d’être dans la distance.
Le bain de la petite Kenza au début du film, quelle signification lui donnez-vous ?
Sa signification est plurielle. Le bain c’est le quotidien d’un enfant au sein de la chaleur de la famille. C’est en l’occurrence le rappel du naufrage dont Kenza est rescapée. C’est une référence au baptême par immersion pratiqué par de nombreux évangéliques. « Promis le Ciel » ouvre une fenêtre sur la vie des autres avec un côté festif dans un contexte qui ne l’ai pas.
Vous avez été élevée aux Minguettes, est-ce la raison qui vous rend si à l’aise dans des milieux populaires ?
Je suis à l’aise partout. Dans un milieu populaire tels les Minguettes on constate un engagement important des gens, de la solidarité entre eux et un souci du collectif. Tout cela donne de la force et de la simplicité même si on peut parfois éprouver un manque, par exemple, de ne pas avoir eu beaucoup de livres autour de soi !
Pourquoi être devenue cinéaste ?
J’ai toujours voulu faire du cinéma. Pour le devenir j’ai dû gagner de l’argent pour payer mes études. Alors j’ai fait de nombreux petits métiers et d’autres qui l’étaient… moins ! En tous cas je n’ai jamais été déconnectée du social et du politique, car j’ai su très vite qu’une loi peut vous changer la vie.
Comment vivez-vous les difficultés économiques actuelles ?
Mon mode de vie de cinéaste m’épanouit… Quand je songe à l’avenir c’est sans doute moins radieux ! Mais je suis d’accord avec Isabelle Huppert quand elle dit : « Chaque film est un petit miracle ». Grâce au cinéma il y a interconnexion entre fiction et réalité… Et ça n’a pas de prix !
Propos recueillis par M.AP
Crédit photos :ManekiFilms, Henia production