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La Corse, Jérusalem de comptoir ? Ou comment l'Assemblée territoriale se prend pour le Levant

Son avenir n’est pas de singer les motions votées à Montreuil

La Corse, Jérusalem de comptoir?

Ou comment l’Assemblée territoriale se prend pour le Levant

Ajaccio, juin 2025. L’Assemblée de Corse vient de reconnaître l’État de Palestine. Fracas de cymbales dans un verre à liqueur. On cherche sur les cartes les conséquences géopolitiques de cette effusion parlementaire : on n’en trouve aucune, pas même sur les cartes postales.


Car que représente cette délibération votée à main levée, sinon la grimace solennelle d’une collectivité qui s’oublie ?
La Corse n’est ni une puissance ni un sujet de droit international. Elle n’a pas plus vocation à trancher les conflits du Proche-Orient que la mairie d’Épinal à se prononcer sur le Cachemire. Et pourtant, voici nos élus à chasuble régionale, gonflant le torse comme s’ils portaient l’uniforme diplomatique de Metternich.

Un théâtre d’ombres et de drapeaux


Il est des votes qui font l’histoire. Celui-ci ne fait que du bruit dans une boîte vide. L’Assemblée s’essaie à jouer les grandes personnes. Elle veut, semble-t-il, inscrire la Corse dans le grand livre des peuples opprimés, des nations fantômes et des causes sanctuarisées. Or, la Corse est tout sauf une nation en exil : elle vit, parle, débat, s’administre — elle n’est pas une ombre, elle est une île.

Mais à force de vouloir faire croire qu’elle est plus que ce qu’elle est, l’Assemblée se ridiculise en moins de trois actes. On aurait pu s’attendre à un débat sur la langue corse, sur l’énergie, sur l’accès aux soins. On a eu le pastiche diplomatique, comme si le perchoir d’Ajaccio dominait les collines de Naplouse.

L’imitation comme tragédie


Cette reconnaissance de la Palestine par l’Assemblée n’a pas pour objet la Palestine. Elle est un miroir tendu aux désirs d’importance d’une minorité politique en mal de toge. C’est le mimétisme qui gouverne : après la Catalogne, le Pays basque, le Québec, pourquoi pas nous ? se disent certains élus. Hélas, il y a des travestissements qui deviennent des aveux.

Car la Corse n’est pas une province en état de sécession, ni un territoire colonisé, ni une nation suspendue. Elle est, au contraire, une terre singulière, ardente, enracinée — mais qui, en se précipitant dans les postures de l’internationalisme moralisateur, renonce à sa propre voix.

Le ridicule comme péril politique


Plus grave encore serait l’hypothèse selon laquelle ce vote ne serait qu’une manœuvre entre groupes rivaux, une compétition de cris et de toges. Celui qui hurle le plus fort, croit-on, emportera le titre de conscience insulaire. Funeste calcul ! Car ce vote n’engage rien, sinon la perception d’un ridicule provincial.

Comment un territoire qui envisage l’autonomie, voire l’indépendance, peut-il se prendre les pieds dans une rhétorique mondialisée qui nie précisément les racines, les souverainetés réelles, et la complexité des histoires ? Si être autonome, c’est singer la bien-pensance continentale dans sa version la plus convenue, alors c’est une autonomie de perroquet.

Et Israël dans tout cela ?

Qu’on se rassure : Israël survivra à ce vote. Mais il est piquant de voir l’Assemblée corse ignorer le fait qu’Israël, petite nation à l’histoire tragique et à la résilience admirable, représente tout ce que la Corse prétend vouloir : autonomie, défense, affirmation de soi. Le seul modèle qu’on pourrait jalouser, on le récuse — au nom d’un slogan de pancarte.

Le syndrome de Lampedusa


À force de voter des résolutions sans poids, sans prise et sans pensée, l’Assemblée de Corse se provincialise à rebours. Elle prétend incarner une île fière et singulière, mais finit par ressembler à une caricature de conseil municipal idéologique. Le plus sûr moyen de ne jamais devenir une nation est de se croire diplomate avant d’être maître chez soi.

Et si l’avenir, au lieu de s’écrire dans le marbre de la souveraineté, se lisait dans les bulletins de Lampedusa, c’est que la dérive est déjà commencée.

Mais la Corse vaut mieux. Son avenir n’est pas de singer les motions votées à Montreuil, ni d’imiter les borborygmes du périphérique, drapés de slogans. La Corse n’a rien à gagner à ressembler aux banlieues parisiennes. Ni par le verbe, ni par la posture, ni par l’effacement des singularités. Elle ne sera jamais plus forte qu’en restant elle-même — rugueuse, fière, complexe, mais debout, et non servile aux modes idéologiques.





Jean-François Marchi
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