50 ans aprés . Que reste-t-il d'Aléria ? N° 2
ALERIA....... et puis
L’affirmation de la violence assumée
Entre 1973 et le début de l’année 1975, la violence assumée monte en puissance et en crédibilité. La direction de l’ARC s’efforce sans succès de la canaliser et tente la carte du dialogue avec Paris.
Le 8 octobre 1973, se manifeste le Fronte Paesanu di Liberazione di a Corsica (FPCL) fondé par une poignée de militants. C’est le jour anniversaire de la bataille de Borgo remportée en 1768 sur les troupes du Roi de France par les forces nationales regroupées derrière Pascal Paoli. Le FPCL signe ses premières actions revendiquées en réalisant trois attentats : l’agence d’Air France de Bastia, la Trésorerie générale d’Ajaccio et la balise radio de Solenzara. Là a été peint sur le mur le sigle FPCL, suivi de l’inscription « Colons français dehors ». À la fin du mois, le quotidien L’Aurore publie un communiqué du groupe clandestin qui exige : « l’expulsion de tous les colons français occupant les terres communales de la Plaine Orientale et le partage du pénitencier de Casabianda au profit des Corses , le remplacement de tous les fonctionnaires et employés français par un personnel exclusivement corse », l’enseignement obligatoire de la langue corse dès l’école primaire. Le FPCL revendiquera quelques semaines plus tard le spectaculaire attentat ayant détruit le 13septembre 1973, en Italie, le « Scarlino 2 », un des bateaux de la Montedison qui déversait les « boues rouges » au large du Cap Corse ; action qui a mis fin à ce déversement.
La crise mondiale du Moyen-Orient et
ses répercussions
Ces événements se produisent dans un contexte international tendu qui va entraîner de grandes mutations. Soudainement, une crise planétaire a éclaté au Moyen-Orient. Le 6 octobre 1973, alors que l’État d’Israël fêtait Yom Kippour, une coalition arabe menée par l’Égypte et la Syrie a lancé une attaque militaire surprise en réponse à la défaite de la guerre des Six Jours (5-10 juin 1967). L’objectif : récupérer les territoires perdus. Les 16 et 17 octobre 1973, les pays arabes membres de l’OPEP, réunis au Koweït, ont décidé d’augmenter unilaté-ralement de 70 % le prix du baril de brut, ainsi qu’une réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière jusqu’à évacuation des territoires occupés et reconnaissance des droits des Palestiniens. La pénurie a suscité une panique mondiale car les prix ont quadruplé, entraînant stagflation et ralentissement économique dans les pays consommateurs.
Première allusion vraiment explicite
et explicative à la violence politique
Le 29 novembre 1973, François Peretti (avec qui je travaillerai plus tard dans la rédaction du mensuel Kyrn, celui de deuxième génération dirigé par Dominique Alfonsi), obtient un rendez-vous avec un porte-parole du FPCL pour un article à publier dans Paris Match. Le journaliste et José Stromboni, soupçonné d’être un des responsables du FPCL, sont tous deux originaires de Santa-Lucia di Tallanodans la Rocca. François Peretti prétendra cependant que l’interview a eu lieu dans une petite maison abandonnée du hameau de Monticello, près de Ghisoni. Le ton de la communication est ferme. Le descriptif organisationnel est très largement exagéré pour rendre la menace crédible. La revendication statutaire reste encore vague. La déclaration du FPCL est cependant importante, car pour la première fois, vraiment, il est explicitement et explica-tivement fait allusion à l’usage de la violence : « Nous vous avons alertés pour une raison : révéler à la France notre existence et notre action. Le Front Paysan corse de Libération est une organisation clandestine, calquée sur le modèle des organisations de ce type, avec un collectif responsable de cinq membres et des ramifications dans toute l’île, voire sur le Continent. Notre projet politique, pour ne pas dire notre doctrine, prend racine dans le mouvement historique de Pascal Paoli. Nous revendiquons trois attentats à l’explosif. Trois objectifs choisis avec soin, qui illustrent parfaitement dans des domaines différents la politique colonialiste du gouvernement français. L’ordre a été donné à nos chefs de secteurs qui l’ont transmis à leurs commandos respectifs. Nous ne connaissons pas l’identité des hommes qui les composent. Les exécutants sont anonymes. Les autres attentats nous sont étrangers. Notre but est de rendre au peuple corse son identité nationale. Pour autant il n’est pas question pour nous de choisir entre le régionalisme ou l’autonomie. Ni même l’indépendance. Notre projet est autre. Nous sommes des nationalistes dans le sens le plus strict du terme. Peu nous importe aujourd’hui que la Corse soit département français ou région autonome. Les structures de notre attachement à la France peuvent changer. La nation corse, elle, doit survivre. C’est pourquoi nous avons décidé de nous soulever et de répondre à la violence par la violence. Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout. »
Dissolution du FPCL
En janvier 1974, quelques jours après sa première « nuit bleue » (neuf attentats en divers points), le FPCL donne une conférence de presse nocturne à Ajaccio, l’État réagit.
exagéré pour rendre la menace crédible. La revendication statutaire reste encore vague. La déclaration du FPCL est cependant importante, car pour la première fois, vraiment, il est explicitement et explica-tivement fait allusion à l’usage de la violence : « Nous vous avons alertés pour une raison : révéler à la France notre existence et notre action. Le Front Paysan corse de Libération est une organisation clandestine, calquée sur le modèle des organisations de ce type, avec un collectif responsable de cinq membres et des ramifications dans toute l’île, voire sur le Continent. Notre projet politique, pour ne pas dire notre doctrine, prend racine dans le mouvement historique de Pascal Paoli. Nous revendiquons trois attentats à l’explosif. Trois objectifs choisis avec soin, qui illustrent parfaitement dans des domaines différents la politique colonialiste du gouvernement français. L’ordre a été donné à nos chefs de secteurs qui l’ont transmis à leurs commandos respectifs. Nous ne connaissons pas l’identité des hommes qui les composent. Les exécutants sont anonymes. Les autres attentats nous sont étrangers. Notre but est de rendre au peuple corse son identité nationale. Pour autant il n’est pas question pour nous de choisir entre le régionalisme ou l’autonomie. Ni même l’indépendance. Notre projet est autre. Nous sommes des nationalistes dans le sens le plus strict du terme. Peu nous importe aujourd’hui que la Corse soit département français ou région autonome. Les structures de notre attachement à la France peuvent changer. La nation corse, elle, doit survivre. C’est pourquoi nous avons décidé de nous soulever et de répondre à la violence par la violence. Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout. »
Dissolution du FPCL
En janvier 1974, quelques jours après sa première « nuit bleue » (neuf attentats en divers points), le FPCL donne une conférence de presse nocturne à Ajaccio, l’État réagit. l’île a été triomphal.
Le FPCL a marqué un point important
Le 27 avril 1974, trois semaines après la mort du Président de la République George Pompidou, s’ouvre le procès des dirigeants de la Montedison, la société qui ordonnait le déversement des « boues rouges ». ils seront condamnés. À noter que le gouvernement français avait élevé une protestation contre la pollution après le plasticage du bateau italien. Le FPCL a marqué un point important car il avait expliqué dans Paris Match : « Il s’agissait de montrer que, dans la lutte contre le déversement des boues rouges au large de la Corse, les protestations verbales ne suffisaient plus. Si l’ordre n’a pas été donné par le FPCL, ce sont des hommes qui nous sont proches qui l’ont exécuté.» La violence assumée l’a emporté. Nombreux sont les jeunes Corses qui vont tirer les leçons de la lutte contre le déversement des « boues rouges » et de la victoire remportée. Il a été démontré qu’un plasticage sans victime, et avait fait plus que cent pétitions. Le mouvement nationaliste ne l’oubliera pas d’autant que le Moloch étatique ne possède plus sa superbe gaulliste. Partout alors fleurit le slogan « Sò corsu è ne sò fieru ». La Corse a d’une certaine manière été initiatrice de « l’écolo-terrorisme », réponse illégale, mais légitime dans une situation qui mettait en danger de mort une population et des pouvoirs publics sans volonté d’agir. En Corse a été posée une question essentielle qui reste d’actualité : jusqu’à quand une population doit-elle accepter un danger mortel et courber l’échine alors que les pouvoirs publics se montrent incapables de la protéger ? Dans le documentaire de Jackie Poggioli diffusé en novembre 2023 par Via Stella, des fondateurs du FPCL ont cependant révélé et expliqué leur refus d’alors de provoquer la mort d’hommes et leur désaccord avec les méthodes de l’IRA ou de l’ETA. Ils ont aussi indiqué que, malgré leur admiration pour le FLN algérien, ils avaient tenu à s’en différencier en créant un sigle, FPCL, qui interdisait toute confusion. Ils n’ont cependant pas précisé si cette prise de distance était suscitée par la vive sympathie qui avait été ressentie en Corse pour l’Algérie française ou parce que, comme certains l’ont opportunément rappelé, la situation de l’Algérie colonisée et celle de la Corse ne pouvaient être confondues. À écouter ces militants de la première heure, on comprend combien le choix de la violence est toujours un choix personnel. Ça n’est pas seulement une affaire de courage, mais aussi de jugement individuel.
Le double jeu de l’ARC
La direction de l’ARC va tirer très vite des leçons du succès de la violence assumée car il représente aussi un message adressé aux autonomistes modérés. En mars 1974, elle donne des assurances à des responsables du FPCL quant à la radicalisation de la lutte. Elle parvient aussi à convaincre certains d’agir désormais dans le cadre d’une nouvelle organisation clandestine dont l’ARC maîtriserait en sous-main les actions et qui apparaîtrait plus radicale que le FPCL : Ghjustizia Paolina (GP). La création de Ghjustizia paolina représente à la fois la prise en compte de la puissance démontrée de l’usage d’une certaine violence et la prise de conscience d’une lutte de génération et de conception du combat pour la Corse. Bien qu’officiellement opposée à la violence, l’ARC des frères Simeoni tente de canaliser la montée en puissance de la jeunesse corse qui, au sein de l’organisation, exprime son désir d’aller plus loin dans la lutte pour l’émancipation et est attirée par la détermination sans faille du FPCL. Edmond Simeoni pratique donc une politique à la Louis XI : d’un côté, dans le secret, il flatte la clandestinité qui est née dans son organisation, Ghjustiziapaolina ; de l’autre, il cherche des interlocuteurs au plus haut niveau de l’État, se présentant comme un bouclier contre la radicalisation. Il va obtenir d’avoir un interlocuteur officiel du gouvernement : le haut fonctionnaire Libert Bou. Mais il va en définitive apparaître que la clandestinité monte en puissance et que la direction de l’ARC ne peut la contrôler.
Les premières actions de Ghjustizia
Paolina
Le 22 mars 1974, Ghjustizia Paolina détruit une Caravelle d’Air Inter sur la piste de l’aéroport de Bastia, ciblant une cible d’un niveau supérieur à celles visées par le FPCL. Jean-Pierre Susini, militant historique du FPCL passé à Ghjustizia Paolina, explique dans le documentaire de Jackie Poggioli (Via Stella) avoir été aidé financièrement par Edmond Simeoni qui condamnait publiquement la violence. Le 27 mars, Ghjustizia Paolina plastique la sous-préfecture de Bastia, un symbole du pouvoir central, et publie un communiqué confirmant que c’est bien l’État qui est désormais visé: « L’attentat contre la Caravelle ne visait pas une compagnie en particulier, mais l’État français. Notre peuple vivra, ni les chantages ni les manœuvres ne freineront notre action déterminée par la foi que nous mettons dans la lutte pour la libération de notre peuple. La Ghjustizia Paolina, née de la liberté, renaît pour la survie de notre peuple ; elle sera implacable et frappera dans leurs biens et leur vie, nos ennemis étrangers ou corses. Nous lançons un premier et dernier avertissement aux élus de la France : Rocca Serra et Giacobbi. Nous leur interdisons de parler au nom de notre pays, car ils n’ont jamais su le faire et nous en payons les conséquences. » Pour les militants du FPCL, la création de Ghjustizia Paolina rend la situation politiquement difficile. Le 11 avril 1974, le FPCL répond d’abord politiquement en affirmant que « l’action légale est un échec », en réclamant « la reconnaissance de la Nation corse avec priorité à tous emplois et à la terre », en demandant « l’expulsion des colons et le rapatriement, dans les cinq ans, des Corses se trouvant sur le Continent, ceux-ci devant bénéficier de la double citoyenneté » et en souhaitant enfin que soit mise en place « une Assemblée législative propre à la Corse, la France n’ayant qu’un représentant avec voix consultative ». C’est terriblement excessif, mais le but n’est pas d’énoncer ce qui peut être obtenu, mais d’obliger les autonomistes à se radicaliser à visage découvert. Les forces de répression ne comprennent pas grand-chose à ce qui se passe dans la clandestinité. La montée en puissance de Ghjustizia Paolina et l’effacement observé du FPCL, incite certains enquêteurs à penser que Ghjustizia Paolina n’est qu’un avatar du FPCL. Les services de l’identité judiciaire justifient cette hypothèse en soulignant qu’une lettre du FPCL datant de novembre 1973 et d’autres de Ghjustizia Paolina auraient été dactylo-graphiées avec une machine à écrire de même modèle et de mêmes caractères.
L’escalade des attentats en 1974
Après les élections présidentielles remportées quelques semaines plus tôt (en mai) par Valéry Giscard d’Estaing, alors que le contenu de la loi d’amnistie - loi qui à cette époque suit traditionnellement l’élection d’un président de la République - n’est pas encore connu, onze attentats sont commis durant les nuits du 8 au 10 juillet 1974 et revendiqués par Ghjustizia Paolina. Les enquêteurs notent que le champ d’action de Ghjustizia Paolina s’est élargi. Jusqu’alors limité à la région ajaccienne et à la Plaine Orientale, il comprend désormais Calvi et Porto-Vecchio. Ils observent également une extension du domaine de la lutte. Désormais, des affaires privées sont touchées (complexes touristiques, banques ou même étude d’un notaire de la Plaine Orientale qui s’occupe particulièrement de transactions foncières). Ghjustizia Paolina fait alors œuvre de pédagogie dans un communiqué : « Peuple Corse, toi qui a seul le droit de nous juger, saura les raisons qui nous poussent à agir : la Nation corse indépendante vaincue à Ponte Novu, subit depuis deux siècles le carcan des colonisateurs français. Nous ne combattons pas le peuple de France, mais nous luttons contre le colonialisme de l’État français. On ne nous donne d’autres choix que celui de la violence ; nul ne peut douter que tous les objectifs visés sont au service du colonialisme français. Notre justice sera implacable. »
L’ARC prise dans la spirale de la violence
À lire les articles de presse de l’époque, on comprend que l’ARC et les frères Simeoni ont été happés par la violence, dimension qu’ils ne dominent pas. Ils voulaient donner le sentiment de chevaucher le dragon, mais ils en sont devenus les esclaves. Les attentats se succèdent au début de l’année 1975. La courbe représentant les attentats est ascensionnelle. On dénombrait 40 attentats en 1973. Leur nombre est passé à 116 en 1974. Il atteindra 212 en 1975. Par ailleurs, une partie de la base de l’ARC -plus particulièrement les jeunes militants -s’inquiète de plus en plus ouvertement des relations et de la teneur des discussions entre la direction du mouvement et Liber Bou, l’envoyé de Paris.
GXC
Photo : GXC
Entre 1973 et le début de l’année 1975, la violence assumée monte en puissance et en crédibilité. La direction de l’ARC s’efforce sans succès de la canaliser et tente la carte du dialogue avec Paris.
Le 8 octobre 1973, se manifeste le Fronte Paesanu di Liberazione di a Corsica (FPCL) fondé par une poignée de militants. C’est le jour anniversaire de la bataille de Borgo remportée en 1768 sur les troupes du Roi de France par les forces nationales regroupées derrière Pascal Paoli. Le FPCL signe ses premières actions revendiquées en réalisant trois attentats : l’agence d’Air France de Bastia, la Trésorerie générale d’Ajaccio et la balise radio de Solenzara. Là a été peint sur le mur le sigle FPCL, suivi de l’inscription « Colons français dehors ». À la fin du mois, le quotidien L’Aurore publie un communiqué du groupe clandestin qui exige : « l’expulsion de tous les colons français occupant les terres communales de la Plaine Orientale et le partage du pénitencier de Casabianda au profit des Corses , le remplacement de tous les fonctionnaires et employés français par un personnel exclusivement corse », l’enseignement obligatoire de la langue corse dès l’école primaire. Le FPCL revendiquera quelques semaines plus tard le spectaculaire attentat ayant détruit le 13septembre 1973, en Italie, le « Scarlino 2 », un des bateaux de la Montedison qui déversait les « boues rouges » au large du Cap Corse ; action qui a mis fin à ce déversement.
La crise mondiale du Moyen-Orient et
ses répercussions
Ces événements se produisent dans un contexte international tendu qui va entraîner de grandes mutations. Soudainement, une crise planétaire a éclaté au Moyen-Orient. Le 6 octobre 1973, alors que l’État d’Israël fêtait Yom Kippour, une coalition arabe menée par l’Égypte et la Syrie a lancé une attaque militaire surprise en réponse à la défaite de la guerre des Six Jours (5-10 juin 1967). L’objectif : récupérer les territoires perdus. Les 16 et 17 octobre 1973, les pays arabes membres de l’OPEP, réunis au Koweït, ont décidé d’augmenter unilaté-ralement de 70 % le prix du baril de brut, ainsi qu’une réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière jusqu’à évacuation des territoires occupés et reconnaissance des droits des Palestiniens. La pénurie a suscité une panique mondiale car les prix ont quadruplé, entraînant stagflation et ralentissement économique dans les pays consommateurs.
Première allusion vraiment explicite
et explicative à la violence politique
Le 29 novembre 1973, François Peretti (avec qui je travaillerai plus tard dans la rédaction du mensuel Kyrn, celui de deuxième génération dirigé par Dominique Alfonsi), obtient un rendez-vous avec un porte-parole du FPCL pour un article à publier dans Paris Match. Le journaliste et José Stromboni, soupçonné d’être un des responsables du FPCL, sont tous deux originaires de Santa-Lucia di Tallanodans la Rocca. François Peretti prétendra cependant que l’interview a eu lieu dans une petite maison abandonnée du hameau de Monticello, près de Ghisoni. Le ton de la communication est ferme. Le descriptif organisationnel est très largement exagéré pour rendre la menace crédible. La revendication statutaire reste encore vague. La déclaration du FPCL est cependant importante, car pour la première fois, vraiment, il est explicitement et explica-tivement fait allusion à l’usage de la violence : « Nous vous avons alertés pour une raison : révéler à la France notre existence et notre action. Le Front Paysan corse de Libération est une organisation clandestine, calquée sur le modèle des organisations de ce type, avec un collectif responsable de cinq membres et des ramifications dans toute l’île, voire sur le Continent. Notre projet politique, pour ne pas dire notre doctrine, prend racine dans le mouvement historique de Pascal Paoli. Nous revendiquons trois attentats à l’explosif. Trois objectifs choisis avec soin, qui illustrent parfaitement dans des domaines différents la politique colonialiste du gouvernement français. L’ordre a été donné à nos chefs de secteurs qui l’ont transmis à leurs commandos respectifs. Nous ne connaissons pas l’identité des hommes qui les composent. Les exécutants sont anonymes. Les autres attentats nous sont étrangers. Notre but est de rendre au peuple corse son identité nationale. Pour autant il n’est pas question pour nous de choisir entre le régionalisme ou l’autonomie. Ni même l’indépendance. Notre projet est autre. Nous sommes des nationalistes dans le sens le plus strict du terme. Peu nous importe aujourd’hui que la Corse soit département français ou région autonome. Les structures de notre attachement à la France peuvent changer. La nation corse, elle, doit survivre. C’est pourquoi nous avons décidé de nous soulever et de répondre à la violence par la violence. Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout. »
Dissolution du FPCL
En janvier 1974, quelques jours après sa première « nuit bleue » (neuf attentats en divers points), le FPCL donne une conférence de presse nocturne à Ajaccio, l’État réagit.
exagéré pour rendre la menace crédible. La revendication statutaire reste encore vague. La déclaration du FPCL est cependant importante, car pour la première fois, vraiment, il est explicitement et explica-tivement fait allusion à l’usage de la violence : « Nous vous avons alertés pour une raison : révéler à la France notre existence et notre action. Le Front Paysan corse de Libération est une organisation clandestine, calquée sur le modèle des organisations de ce type, avec un collectif responsable de cinq membres et des ramifications dans toute l’île, voire sur le Continent. Notre projet politique, pour ne pas dire notre doctrine, prend racine dans le mouvement historique de Pascal Paoli. Nous revendiquons trois attentats à l’explosif. Trois objectifs choisis avec soin, qui illustrent parfaitement dans des domaines différents la politique colonialiste du gouvernement français. L’ordre a été donné à nos chefs de secteurs qui l’ont transmis à leurs commandos respectifs. Nous ne connaissons pas l’identité des hommes qui les composent. Les exécutants sont anonymes. Les autres attentats nous sont étrangers. Notre but est de rendre au peuple corse son identité nationale. Pour autant il n’est pas question pour nous de choisir entre le régionalisme ou l’autonomie. Ni même l’indépendance. Notre projet est autre. Nous sommes des nationalistes dans le sens le plus strict du terme. Peu nous importe aujourd’hui que la Corse soit département français ou région autonome. Les structures de notre attachement à la France peuvent changer. La nation corse, elle, doit survivre. C’est pourquoi nous avons décidé de nous soulever et de répondre à la violence par la violence. Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout. »
Dissolution du FPCL
En janvier 1974, quelques jours après sa première « nuit bleue » (neuf attentats en divers points), le FPCL donne une conférence de presse nocturne à Ajaccio, l’État réagit. l’île a été triomphal.
Le FPCL a marqué un point important
Le 27 avril 1974, trois semaines après la mort du Président de la République George Pompidou, s’ouvre le procès des dirigeants de la Montedison, la société qui ordonnait le déversement des « boues rouges ». ils seront condamnés. À noter que le gouvernement français avait élevé une protestation contre la pollution après le plasticage du bateau italien. Le FPCL a marqué un point important car il avait expliqué dans Paris Match : « Il s’agissait de montrer que, dans la lutte contre le déversement des boues rouges au large de la Corse, les protestations verbales ne suffisaient plus. Si l’ordre n’a pas été donné par le FPCL, ce sont des hommes qui nous sont proches qui l’ont exécuté.» La violence assumée l’a emporté. Nombreux sont les jeunes Corses qui vont tirer les leçons de la lutte contre le déversement des « boues rouges » et de la victoire remportée. Il a été démontré qu’un plasticage sans victime, et avait fait plus que cent pétitions. Le mouvement nationaliste ne l’oubliera pas d’autant que le Moloch étatique ne possède plus sa superbe gaulliste. Partout alors fleurit le slogan « Sò corsu è ne sò fieru ». La Corse a d’une certaine manière été initiatrice de « l’écolo-terrorisme », réponse illégale, mais légitime dans une situation qui mettait en danger de mort une population et des pouvoirs publics sans volonté d’agir. En Corse a été posée une question essentielle qui reste d’actualité : jusqu’à quand une population doit-elle accepter un danger mortel et courber l’échine alors que les pouvoirs publics se montrent incapables de la protéger ? Dans le documentaire de Jackie Poggioli diffusé en novembre 2023 par Via Stella, des fondateurs du FPCL ont cependant révélé et expliqué leur refus d’alors de provoquer la mort d’hommes et leur désaccord avec les méthodes de l’IRA ou de l’ETA. Ils ont aussi indiqué que, malgré leur admiration pour le FLN algérien, ils avaient tenu à s’en différencier en créant un sigle, FPCL, qui interdisait toute confusion. Ils n’ont cependant pas précisé si cette prise de distance était suscitée par la vive sympathie qui avait été ressentie en Corse pour l’Algérie française ou parce que, comme certains l’ont opportunément rappelé, la situation de l’Algérie colonisée et celle de la Corse ne pouvaient être confondues. À écouter ces militants de la première heure, on comprend combien le choix de la violence est toujours un choix personnel. Ça n’est pas seulement une affaire de courage, mais aussi de jugement individuel.
Le double jeu de l’ARC
La direction de l’ARC va tirer très vite des leçons du succès de la violence assumée car il représente aussi un message adressé aux autonomistes modérés. En mars 1974, elle donne des assurances à des responsables du FPCL quant à la radicalisation de la lutte. Elle parvient aussi à convaincre certains d’agir désormais dans le cadre d’une nouvelle organisation clandestine dont l’ARC maîtriserait en sous-main les actions et qui apparaîtrait plus radicale que le FPCL : Ghjustizia Paolina (GP). La création de Ghjustizia paolina représente à la fois la prise en compte de la puissance démontrée de l’usage d’une certaine violence et la prise de conscience d’une lutte de génération et de conception du combat pour la Corse. Bien qu’officiellement opposée à la violence, l’ARC des frères Simeoni tente de canaliser la montée en puissance de la jeunesse corse qui, au sein de l’organisation, exprime son désir d’aller plus loin dans la lutte pour l’émancipation et est attirée par la détermination sans faille du FPCL. Edmond Simeoni pratique donc une politique à la Louis XI : d’un côté, dans le secret, il flatte la clandestinité qui est née dans son organisation, Ghjustiziapaolina ; de l’autre, il cherche des interlocuteurs au plus haut niveau de l’État, se présentant comme un bouclier contre la radicalisation. Il va obtenir d’avoir un interlocuteur officiel du gouvernement : le haut fonctionnaire Libert Bou. Mais il va en définitive apparaître que la clandestinité monte en puissance et que la direction de l’ARC ne peut la contrôler.
Les premières actions de Ghjustizia
Paolina
Le 22 mars 1974, Ghjustizia Paolina détruit une Caravelle d’Air Inter sur la piste de l’aéroport de Bastia, ciblant une cible d’un niveau supérieur à celles visées par le FPCL. Jean-Pierre Susini, militant historique du FPCL passé à Ghjustizia Paolina, explique dans le documentaire de Jackie Poggioli (Via Stella) avoir été aidé financièrement par Edmond Simeoni qui condamnait publiquement la violence. Le 27 mars, Ghjustizia Paolina plastique la sous-préfecture de Bastia, un symbole du pouvoir central, et publie un communiqué confirmant que c’est bien l’État qui est désormais visé: « L’attentat contre la Caravelle ne visait pas une compagnie en particulier, mais l’État français. Notre peuple vivra, ni les chantages ni les manœuvres ne freineront notre action déterminée par la foi que nous mettons dans la lutte pour la libération de notre peuple. La Ghjustizia Paolina, née de la liberté, renaît pour la survie de notre peuple ; elle sera implacable et frappera dans leurs biens et leur vie, nos ennemis étrangers ou corses. Nous lançons un premier et dernier avertissement aux élus de la France : Rocca Serra et Giacobbi. Nous leur interdisons de parler au nom de notre pays, car ils n’ont jamais su le faire et nous en payons les conséquences. » Pour les militants du FPCL, la création de Ghjustizia Paolina rend la situation politiquement difficile. Le 11 avril 1974, le FPCL répond d’abord politiquement en affirmant que « l’action légale est un échec », en réclamant « la reconnaissance de la Nation corse avec priorité à tous emplois et à la terre », en demandant « l’expulsion des colons et le rapatriement, dans les cinq ans, des Corses se trouvant sur le Continent, ceux-ci devant bénéficier de la double citoyenneté » et en souhaitant enfin que soit mise en place « une Assemblée législative propre à la Corse, la France n’ayant qu’un représentant avec voix consultative ». C’est terriblement excessif, mais le but n’est pas d’énoncer ce qui peut être obtenu, mais d’obliger les autonomistes à se radicaliser à visage découvert. Les forces de répression ne comprennent pas grand-chose à ce qui se passe dans la clandestinité. La montée en puissance de Ghjustizia Paolina et l’effacement observé du FPCL, incite certains enquêteurs à penser que Ghjustizia Paolina n’est qu’un avatar du FPCL. Les services de l’identité judiciaire justifient cette hypothèse en soulignant qu’une lettre du FPCL datant de novembre 1973 et d’autres de Ghjustizia Paolina auraient été dactylo-graphiées avec une machine à écrire de même modèle et de mêmes caractères.
L’escalade des attentats en 1974
Après les élections présidentielles remportées quelques semaines plus tôt (en mai) par Valéry Giscard d’Estaing, alors que le contenu de la loi d’amnistie - loi qui à cette époque suit traditionnellement l’élection d’un président de la République - n’est pas encore connu, onze attentats sont commis durant les nuits du 8 au 10 juillet 1974 et revendiqués par Ghjustizia Paolina. Les enquêteurs notent que le champ d’action de Ghjustizia Paolina s’est élargi. Jusqu’alors limité à la région ajaccienne et à la Plaine Orientale, il comprend désormais Calvi et Porto-Vecchio. Ils observent également une extension du domaine de la lutte. Désormais, des affaires privées sont touchées (complexes touristiques, banques ou même étude d’un notaire de la Plaine Orientale qui s’occupe particulièrement de transactions foncières). Ghjustizia Paolina fait alors œuvre de pédagogie dans un communiqué : « Peuple Corse, toi qui a seul le droit de nous juger, saura les raisons qui nous poussent à agir : la Nation corse indépendante vaincue à Ponte Novu, subit depuis deux siècles le carcan des colonisateurs français. Nous ne combattons pas le peuple de France, mais nous luttons contre le colonialisme de l’État français. On ne nous donne d’autres choix que celui de la violence ; nul ne peut douter que tous les objectifs visés sont au service du colonialisme français. Notre justice sera implacable. »
L’ARC prise dans la spirale de la violence
À lire les articles de presse de l’époque, on comprend que l’ARC et les frères Simeoni ont été happés par la violence, dimension qu’ils ne dominent pas. Ils voulaient donner le sentiment de chevaucher le dragon, mais ils en sont devenus les esclaves. Les attentats se succèdent au début de l’année 1975. La courbe représentant les attentats est ascensionnelle. On dénombrait 40 attentats en 1973. Leur nombre est passé à 116 en 1974. Il atteindra 212 en 1975. Par ailleurs, une partie de la base de l’ARC -plus particulièrement les jeunes militants -s’inquiète de plus en plus ouvertement des relations et de la teneur des discussions entre la direction du mouvement et Liber Bou, l’envoyé de Paris.
GXC
Photo : GXC