50 ans aprés . Que reste-t-il d'Aléria ? N°3
ALERIA ...... et puis
Mission Libert Bou et stratégie
double de l’ARC
Les responsables de l’ARC, tout en condamnant publiquement les actions violentes, ont continué en coulisses à dialoguer avec Libert Bou. Mais Edmond Simeoni admettra plus tard une stratégie de façade : « Nous avions adopté la tactique de le suivre pour mieux le dés-amorcer le jour venu. »
Durant les années 1974-1975, l’intensité des plasticages va crescendo. Les déclarations des groupes clandestins sont de plus en plus vindicatives. Désormais, toutes les microrégions de l’île sont touchées. Le sentiment est que les clans perdent peu à peu pied devant l’offensive d’une jeunesse radicalisée. Pour la première fois, Ghjustizia Paolina a frappé dans l’Hexagone (CROUS de Nice, ministère de l’Éducation nationale...) L’organisation clandestine revendique, assume sa radicalisation et menace d’intensifier son action : « Les interventions récentes de nos commandos dans les régions de Paris et de Marseille prouvent une fois de plus notre détermination à poursuivre une lutte qui ira en s’intensifiant contre le colonialisme français et ses serviteurs. Les quelque quatre-vingts attentats de ces mois derniers, en Corse, nous ont permis de constater, par l’écho qu’ils ont trouvé, à quel point le courant nationaliste représente les espoirs et l’idéal du peuple corse. L’État colonialiste français ayant manifesté tout le mépris et le racisme qui le caractérisent en opposant au désir de justice d’un peuple opprimé la force aveugle de la répression, plus rien désormais ne nous retient ! Les commandos nationalistes et révolutionnaires de Ghjustizia paolina sont opérationnels en métropole où nous frapperons à l’endroit et à l’heure que nous aurons choisis. ». Le communiqué s’achève par un dessin représentant la tête de Maure et le slogan « Vince o more » qui figurera sur le Petit livre vert du FLNC deux ans plus tard. Edmond Simeoni reprendra ce mot d’ordre dans un discours. Le 19 novembre 1974, le FPCL a réussi un attentat particulièrement audacieux contre la préfecture d’Ajaccio à l’aide d’un ballon de football rempli d’explosif et a reçu les félicitations de Ghjustizia Paolina. A la veille de Noël, le FPCL plastique contre la Direction départementale de l’Équipement, saluant ainsi symbo-liquement l’arrivée, quelques joues plus tôt, d’un nouveau représentant de l’État : Libert Bou.
Un haut fonctionnaire en terrain miné
Le 12 décembre 1974, Libert Bou, a été nommé en Conseil des ministres pour « prendre en main la question corse ». Cet haut fonctionnaire qui avait orchestré avec succès le déménagement des Halles de Paris à Rungis, se retrouve confronté à un terrain miné. Dans la nuit du 3 au 4 janvier 1975, neuf nouveaux attentats sont commis simultanément en Corse, en réponse à une rencontre prévue entre lui et une délégation menée par les frères Simeoni à Paris. Par cette démonstration de force, manifestement, les clandestins entendent rappeler qu’ils n’entendent pas se faire doubler par les modérés. Cette opposition entre clandestins et réformistes va désormais marquer l’Histoire contemporaine de la Corse. Le 24 janvier, un nouvel attentat est commis par le FPCL, suivi d’autres en février. Pendant trois mois, Libert Bou parcourt cependant la Corse, dialogue et propose (e qui d’ailleurs indispose certains élus, et plus particulièrement les chefs de clan, qui craignent une remise en cause de leur position d’interlocuteurs de l’État, qui assied leur pouvoir). Il rencontre les responsables de l’ARC et les acteurs économiques et sociaux. Il demande au Conseil Économique et Social, et au Conseil général, de modifier et enrichir une Charte de Développement qu’il envisage de proposer. Les conseillers préconiseront notamment un tourisme respectant les sites de l’île et l’identité corse. Il se prononce pour développer l’intérieur, une école hôtelière, l’implantation de petites unités non polluantes de production industrielle. Il évoque même la corsisation des emplois et le retour de la Diaspora. Dans un premier temps, sa démarche suscite un espoir. D’autant que, le 15 mars, Paris confirme que l’Université sera implantée à Corti. Mais, au fil des semaines, apparaissent les limites de sa capacité d’apporter des réponses concrètes et satisfaisantes aux demandes et revendications. D’autant que des élus lui « savonnent la planche » sur l’île et à Paris.
L’invitation piégée de la Jeune
Chambre Économique
Les jeunes de l’ARC, réunis à Nice sous la bannière de la Cunsulta di i studienti corsi (CSC), publient dans leur bulletin U Ribombu, un message clair, énergique et sans appel : «Monsieur Bou, nous ne croyons pas en vous. Le problème corse reste un problème de rapports de force que nous ne résoudrons que par un affrontement. » Le 17 avril 1975, José Stromboni, président de la Jeune Chambre économique, suspecté d’être lié au FPCL, organise à Bastia, un débat auquel Libert Bou est invité. L’ambiance est délétère. D’autant que le député Jean-Paul de Rocca Serra, chef de clan, aurait confié cette prétendue confidence prêtée à Libert Bou : «Faire parler les gens, voilà ce qui est nécessaire. Ensuite, on décide et on agit comme on veut. » Vrai ou inventé, c’est pain bénit pour les radicaux présents. Quant à Edmond Simeoni, il attaque Libert Bou avec une agressivité qui surprend. Ce dernier, exténué, rétorque calmement : « Même 200 000 Corses dans la rue ne sauraient changer une Constitution écrite pour 52 millions de Français. » Edmond Simeoni se saisit de cette déclaration comme d’une preuve du mépris de l’État, et la brandit publiquement. Cette interprétation des propos de Libert Bou est encore aujourd’hui reprise par les nationalistes au pouvoir.
Lettre de Libert Bou à Jean Mannarini
(18 juin 1975)
Dans une lettre en date du 18 juin 1975, adressée à Jean Mannarini, cadre de l’ARC, proche d’Edmond Simeoni, et alors directeur général des établissements Mattei (vins et spiritueux), Libert Bou, profondément blessé, a pourtant officiellement expliqué que l’on séparait son propos de son contexte, lui ayant donné ainsi « une allure de défi ou de provocation » qui ne traduisait pas sa pensée. Voici le texte de ladite lettre : « Monsieur MA NA RINI, Directeur général des Éts. MATTEI, le 18 juin 1975 / Cher Monsieur, Par ses divers communiqués, l’ARC continue à me prêter le propos suivant : « M. BOU a affirmé, lors d’une réunion de la JCE de BASTIA, que 200 000 Corses autonomistes ne pourront jamais faire modifier la Constitution ». Cette affirmation, séparée de son contexte, lui donne une allure de défi ou de provocation qui ne traduit absolument pas le fond de ma pensée. Le mouvement autonomiste est un mouvement légal et je respecte ses opinions. J’ai pris des contacts avec lui parce que je considère que nos échanges de vues sur le plan économique pourraient être utiles à la Corse. Sur le plan politique, je n’ai exprimé qu’un point de vue strictement personnel, à savoir que je doutais de la possibilité d’obtenir, pour une petite fraction des 52 millions de Français, une modification de la Constitution, car cela poserait d’autres modifications du même genre, en faveur d’autres collectivités régionales, et mettrait en jeu l’unité même de la République française. Par contre, j’ai beaucoup insisté sur les possibilités qu’offraient les textes sur la régionalisation dans le cadre de la Constitution actuelle, possibilités qui n’avaient pas été exploitées à fond pour résoudre le problème corse sur le plan politique. Pourriez-vous contribuer à rétablir la vérité de mes propos parmi vos amis ? Je vous laisse le soin de choisir le moyen qui vous conviendra pour effectuer la mise au point nécessaire. Je vous prie d’agréer, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.»
La réponse d’Edmond Simeoni (25
juin 1975)
Dans un courrier en date du 25 juin 1975, Edmond Simeoni a répondu, lui aussi de façon officielle pour signifier à Liber Bou avoir apprécié son courrier, dire croire encore en la possibilité d’une issue positive et être disposé à y contribuer, et aussi affirmer sa détermination : « Monsieur, J’ai bien reçu votre lettre du 18 juin. Je ne puis qu’apprécier le ton dans lequel vous écrivez et la manière dont vous posez le problème. Vous dites que la modification de la Constitution pourrait, pour certains, compromettre l’unité même de la République. Je ne crois pas que, dans l’état actuel des choses, il y ait, en Corse, une forte majorité politique pour revendiquer la séparation. C’est pourquoi, je crois que votre tâche est difficile mais réalisable. Si vous refusez de reconnaître cette évidence, il ne vous reste plus qu’à avoir recours à la force, et c’est la voie que, je crois, ont choisi les groupes clandestins. Je vous assure que je suis prêt à tout pour que nous sortions de cette impasse. Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.» En écrivant «et c’est la voie que, je crois, ont choisi les groupes clandestins », Edmond Simeoni fait clairement allusion au fait qu’en mai, après une «nuit bleue » (12 attentats) Ghjustizia Paolina a publié un manifeste, le Manifeste de Pentecôte, allusion évidente à celui du soulèvement algérien (Déclaration du 1er novembre 1954, dit manifeste du FLN, premier appel au peuple algérien) qui critique durement « l’État français» et dénonce « l'imposture réformiste» des autonomistes et plus particulièrement de l’ARC avant d'affirmer que la dimension politique de la nation corse ne se réalisera qu'au sein d'un État souverain. La Corse est alors à moins de deux mois du drame d’Aleria.
L’ambiguïté stratégique de l’ARC
En juillet, la Charte de développement de Liber Bou est adoptée par le Conseil général. Elle est ensuite avalisée par le Conseil des ministres et le Comité interministériel d’aménagement du territoire. Les conseillers généraux n’ayant pas retenu les propositions du Conseil Économique et Social, le document avalisé reprend grosso modo le contenu du Schéma d’aménagement de la Corse de 1971 que les autonomistes avaient rebaptisé « Schéma de déménagement des Corses ». Échec consommé de la mission Liber Bou qui sera confirmé par la mise à l’écart de l’intéressé, concernant les affaires corses, en février 1976. Les responsables de l’ARC, tout en condamnant publiquement les actions violentes, ont continué en coulisses à dialoguer avec Libert Bou. Mais Edmond Simeoni admettra plus tard qu’il s’agissait d’une stratégie de façade (voir encart Une stratégie de façade). Max Simeoni avait d’ailleurs envoyé, fin février 1975, une lettre - et le document Autonomia (projet de l’ARC)
- à chaque délégué auprès de l’ONU pour dénoncer la situation en Corse. Quant à Arritti, le journal de l’ARC, il multipliait les attaques contre la mission Liber Bou. La tactique n’était pas la bonne et c’est un euphémisme. On se trouvait devant ce paradoxe : désormais la bombe était amorcée au sein même de la principale organisation autonomiste obligeant ses dirigeants à adopter plusieurs masques, plusieurs langages au risque de se retrouver bientôt à devoir faire face à une situation impossible à maîtriser. C’est ce qui va arriver au cours de l’été, lors du congrès de l’ARC alors que les étudiants corses sont revenus du continent et ont retrouvé leurs racines dans leurs villages.
GXC
Photo : GXC
Une stratégie de façade
« Corse : la poudrière » dans ce livre publié en 1978, les journalistes Jean-Paul Delors (fils de Martine Aubry, emporté prématurément par une douloureuse maladie) et Stéphane Muracciole relatent la naissance et l'émergences des mouvements régionalistes, puis autonomistes et nationalistes corses. Une mine d’informations sur les causes historiques et économiques, les personnages impliqués et les principales étapes qui ont conduit aux événe-ments d’Aleria et à la création du FLNC. Dans cet ouvrage, Edmond Simeoni admet la stratégie de façade qu‘avait adoptée l’ARC avec Liber Bou : « Nous avions adopté la tactique de le suivre pour mieux le désamorcer le jour venu. »
double de l’ARC
Les responsables de l’ARC, tout en condamnant publiquement les actions violentes, ont continué en coulisses à dialoguer avec Libert Bou. Mais Edmond Simeoni admettra plus tard une stratégie de façade : « Nous avions adopté la tactique de le suivre pour mieux le dés-amorcer le jour venu. »
Durant les années 1974-1975, l’intensité des plasticages va crescendo. Les déclarations des groupes clandestins sont de plus en plus vindicatives. Désormais, toutes les microrégions de l’île sont touchées. Le sentiment est que les clans perdent peu à peu pied devant l’offensive d’une jeunesse radicalisée. Pour la première fois, Ghjustizia Paolina a frappé dans l’Hexagone (CROUS de Nice, ministère de l’Éducation nationale...) L’organisation clandestine revendique, assume sa radicalisation et menace d’intensifier son action : « Les interventions récentes de nos commandos dans les régions de Paris et de Marseille prouvent une fois de plus notre détermination à poursuivre une lutte qui ira en s’intensifiant contre le colonialisme français et ses serviteurs. Les quelque quatre-vingts attentats de ces mois derniers, en Corse, nous ont permis de constater, par l’écho qu’ils ont trouvé, à quel point le courant nationaliste représente les espoirs et l’idéal du peuple corse. L’État colonialiste français ayant manifesté tout le mépris et le racisme qui le caractérisent en opposant au désir de justice d’un peuple opprimé la force aveugle de la répression, plus rien désormais ne nous retient ! Les commandos nationalistes et révolutionnaires de Ghjustizia paolina sont opérationnels en métropole où nous frapperons à l’endroit et à l’heure que nous aurons choisis. ». Le communiqué s’achève par un dessin représentant la tête de Maure et le slogan « Vince o more » qui figurera sur le Petit livre vert du FLNC deux ans plus tard. Edmond Simeoni reprendra ce mot d’ordre dans un discours. Le 19 novembre 1974, le FPCL a réussi un attentat particulièrement audacieux contre la préfecture d’Ajaccio à l’aide d’un ballon de football rempli d’explosif et a reçu les félicitations de Ghjustizia Paolina. A la veille de Noël, le FPCL plastique contre la Direction départementale de l’Équipement, saluant ainsi symbo-liquement l’arrivée, quelques joues plus tôt, d’un nouveau représentant de l’État : Libert Bou.
Un haut fonctionnaire en terrain miné
Le 12 décembre 1974, Libert Bou, a été nommé en Conseil des ministres pour « prendre en main la question corse ». Cet haut fonctionnaire qui avait orchestré avec succès le déménagement des Halles de Paris à Rungis, se retrouve confronté à un terrain miné. Dans la nuit du 3 au 4 janvier 1975, neuf nouveaux attentats sont commis simultanément en Corse, en réponse à une rencontre prévue entre lui et une délégation menée par les frères Simeoni à Paris. Par cette démonstration de force, manifestement, les clandestins entendent rappeler qu’ils n’entendent pas se faire doubler par les modérés. Cette opposition entre clandestins et réformistes va désormais marquer l’Histoire contemporaine de la Corse. Le 24 janvier, un nouvel attentat est commis par le FPCL, suivi d’autres en février. Pendant trois mois, Libert Bou parcourt cependant la Corse, dialogue et propose (e qui d’ailleurs indispose certains élus, et plus particulièrement les chefs de clan, qui craignent une remise en cause de leur position d’interlocuteurs de l’État, qui assied leur pouvoir). Il rencontre les responsables de l’ARC et les acteurs économiques et sociaux. Il demande au Conseil Économique et Social, et au Conseil général, de modifier et enrichir une Charte de Développement qu’il envisage de proposer. Les conseillers préconiseront notamment un tourisme respectant les sites de l’île et l’identité corse. Il se prononce pour développer l’intérieur, une école hôtelière, l’implantation de petites unités non polluantes de production industrielle. Il évoque même la corsisation des emplois et le retour de la Diaspora. Dans un premier temps, sa démarche suscite un espoir. D’autant que, le 15 mars, Paris confirme que l’Université sera implantée à Corti. Mais, au fil des semaines, apparaissent les limites de sa capacité d’apporter des réponses concrètes et satisfaisantes aux demandes et revendications. D’autant que des élus lui « savonnent la planche » sur l’île et à Paris.
L’invitation piégée de la Jeune
Chambre Économique
Les jeunes de l’ARC, réunis à Nice sous la bannière de la Cunsulta di i studienti corsi (CSC), publient dans leur bulletin U Ribombu, un message clair, énergique et sans appel : «Monsieur Bou, nous ne croyons pas en vous. Le problème corse reste un problème de rapports de force que nous ne résoudrons que par un affrontement. » Le 17 avril 1975, José Stromboni, président de la Jeune Chambre économique, suspecté d’être lié au FPCL, organise à Bastia, un débat auquel Libert Bou est invité. L’ambiance est délétère. D’autant que le député Jean-Paul de Rocca Serra, chef de clan, aurait confié cette prétendue confidence prêtée à Libert Bou : «Faire parler les gens, voilà ce qui est nécessaire. Ensuite, on décide et on agit comme on veut. » Vrai ou inventé, c’est pain bénit pour les radicaux présents. Quant à Edmond Simeoni, il attaque Libert Bou avec une agressivité qui surprend. Ce dernier, exténué, rétorque calmement : « Même 200 000 Corses dans la rue ne sauraient changer une Constitution écrite pour 52 millions de Français. » Edmond Simeoni se saisit de cette déclaration comme d’une preuve du mépris de l’État, et la brandit publiquement. Cette interprétation des propos de Libert Bou est encore aujourd’hui reprise par les nationalistes au pouvoir.
Lettre de Libert Bou à Jean Mannarini
(18 juin 1975)
Dans une lettre en date du 18 juin 1975, adressée à Jean Mannarini, cadre de l’ARC, proche d’Edmond Simeoni, et alors directeur général des établissements Mattei (vins et spiritueux), Libert Bou, profondément blessé, a pourtant officiellement expliqué que l’on séparait son propos de son contexte, lui ayant donné ainsi « une allure de défi ou de provocation » qui ne traduisait pas sa pensée. Voici le texte de ladite lettre : « Monsieur MA NA RINI, Directeur général des Éts. MATTEI, le 18 juin 1975 / Cher Monsieur, Par ses divers communiqués, l’ARC continue à me prêter le propos suivant : « M. BOU a affirmé, lors d’une réunion de la JCE de BASTIA, que 200 000 Corses autonomistes ne pourront jamais faire modifier la Constitution ». Cette affirmation, séparée de son contexte, lui donne une allure de défi ou de provocation qui ne traduit absolument pas le fond de ma pensée. Le mouvement autonomiste est un mouvement légal et je respecte ses opinions. J’ai pris des contacts avec lui parce que je considère que nos échanges de vues sur le plan économique pourraient être utiles à la Corse. Sur le plan politique, je n’ai exprimé qu’un point de vue strictement personnel, à savoir que je doutais de la possibilité d’obtenir, pour une petite fraction des 52 millions de Français, une modification de la Constitution, car cela poserait d’autres modifications du même genre, en faveur d’autres collectivités régionales, et mettrait en jeu l’unité même de la République française. Par contre, j’ai beaucoup insisté sur les possibilités qu’offraient les textes sur la régionalisation dans le cadre de la Constitution actuelle, possibilités qui n’avaient pas été exploitées à fond pour résoudre le problème corse sur le plan politique. Pourriez-vous contribuer à rétablir la vérité de mes propos parmi vos amis ? Je vous laisse le soin de choisir le moyen qui vous conviendra pour effectuer la mise au point nécessaire. Je vous prie d’agréer, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.»
La réponse d’Edmond Simeoni (25
juin 1975)
Dans un courrier en date du 25 juin 1975, Edmond Simeoni a répondu, lui aussi de façon officielle pour signifier à Liber Bou avoir apprécié son courrier, dire croire encore en la possibilité d’une issue positive et être disposé à y contribuer, et aussi affirmer sa détermination : « Monsieur, J’ai bien reçu votre lettre du 18 juin. Je ne puis qu’apprécier le ton dans lequel vous écrivez et la manière dont vous posez le problème. Vous dites que la modification de la Constitution pourrait, pour certains, compromettre l’unité même de la République. Je ne crois pas que, dans l’état actuel des choses, il y ait, en Corse, une forte majorité politique pour revendiquer la séparation. C’est pourquoi, je crois que votre tâche est difficile mais réalisable. Si vous refusez de reconnaître cette évidence, il ne vous reste plus qu’à avoir recours à la force, et c’est la voie que, je crois, ont choisi les groupes clandestins. Je vous assure que je suis prêt à tout pour que nous sortions de cette impasse. Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.» En écrivant «et c’est la voie que, je crois, ont choisi les groupes clandestins », Edmond Simeoni fait clairement allusion au fait qu’en mai, après une «nuit bleue » (12 attentats) Ghjustizia Paolina a publié un manifeste, le Manifeste de Pentecôte, allusion évidente à celui du soulèvement algérien (Déclaration du 1er novembre 1954, dit manifeste du FLN, premier appel au peuple algérien) qui critique durement « l’État français» et dénonce « l'imposture réformiste» des autonomistes et plus particulièrement de l’ARC avant d'affirmer que la dimension politique de la nation corse ne se réalisera qu'au sein d'un État souverain. La Corse est alors à moins de deux mois du drame d’Aleria.
L’ambiguïté stratégique de l’ARC
En juillet, la Charte de développement de Liber Bou est adoptée par le Conseil général. Elle est ensuite avalisée par le Conseil des ministres et le Comité interministériel d’aménagement du territoire. Les conseillers généraux n’ayant pas retenu les propositions du Conseil Économique et Social, le document avalisé reprend grosso modo le contenu du Schéma d’aménagement de la Corse de 1971 que les autonomistes avaient rebaptisé « Schéma de déménagement des Corses ». Échec consommé de la mission Liber Bou qui sera confirmé par la mise à l’écart de l’intéressé, concernant les affaires corses, en février 1976. Les responsables de l’ARC, tout en condamnant publiquement les actions violentes, ont continué en coulisses à dialoguer avec Libert Bou. Mais Edmond Simeoni admettra plus tard qu’il s’agissait d’une stratégie de façade (voir encart Une stratégie de façade). Max Simeoni avait d’ailleurs envoyé, fin février 1975, une lettre - et le document Autonomia (projet de l’ARC)
- à chaque délégué auprès de l’ONU pour dénoncer la situation en Corse. Quant à Arritti, le journal de l’ARC, il multipliait les attaques contre la mission Liber Bou. La tactique n’était pas la bonne et c’est un euphémisme. On se trouvait devant ce paradoxe : désormais la bombe était amorcée au sein même de la principale organisation autonomiste obligeant ses dirigeants à adopter plusieurs masques, plusieurs langages au risque de se retrouver bientôt à devoir faire face à une situation impossible à maîtriser. C’est ce qui va arriver au cours de l’été, lors du congrès de l’ARC alors que les étudiants corses sont revenus du continent et ont retrouvé leurs racines dans leurs villages.
GXC
Photo : GXC
Une stratégie de façade
« Corse : la poudrière » dans ce livre publié en 1978, les journalistes Jean-Paul Delors (fils de Martine Aubry, emporté prématurément par une douloureuse maladie) et Stéphane Muracciole relatent la naissance et l'émergences des mouvements régionalistes, puis autonomistes et nationalistes corses. Une mine d’informations sur les causes historiques et économiques, les personnages impliqués et les principales étapes qui ont conduit aux événe-ments d’Aleria et à la création du FLNC. Dans cet ouvrage, Edmond Simeoni admet la stratégie de façade qu‘avait adoptée l’ARC avec Liber Bou : « Nous avions adopté la tactique de le suivre pour mieux le désamorcer le jour venu. »