50 ans après . Que reste-t-il d'Aléria ? N°6
ALERIA ...... et puis
Que signifie pour vous « Aleria » ?
Depuis l’enfance, Aleria occupe une place particulière dans mon esprit. S’y bousculent : l’oppidum de l’antique Alalia et le musée, qui était alors vieillot, où des balades et visites avec mon grand-père ont suscité ma passion pour l’Histoire et le Patrimoine ; les étangs où, lors d’un crépuscule, j’ai imaginé les allées et venues des galères de la flotte de Misène. Et aussi, plus effectif, A Vaccaghja, le hameau où, il y a déjà près d’un siècle, dans l’ancienne maison cantonnière, est née ma mère. Depuis un certain soir, celui du 22 août 1975, dans mon esprit, Aleria, c’est aussi « Aleria » et une somme de souvenirs. Je me souviens que ce soir d’été, ayant incidemment pris connaissance des événements dont la cave Depeille avait été le théâtre, j’ai ressenti le besoin instinctif d’être solidaire des militants contre lesquels il avait été dépêché une armée. Je me remémore m’être, ce soir là, dix fois répété : « Ils ont raison ! ». Sans trop savoir pourquoi…Je me rappelle que, les mois qui ont suivi, j’ai éprouvé puis assumé l’irrésistible volonté de me joindre à une démarche qui n‘avait jusqu’alors jamais été la mienne : proposer au Peuple corse des perspectives autres que l’assistanat, l’exil, la dépossession, l’acculturation, la dilution, la disparition. « Aleria » a suscité en moi l’envie d’être acteur d’un combat collectif et d’une Renaissance. 50 années plus tard, « Aleria » reste pour moi ce moment où quelques uns, en étant venus exiger justice et ayant refusé de plier, ont redonné à leur peuple confiance et conscience d’avoir sa place dans l’histoire et le futur. « Quel venneri d'Aostu, Si discito la storia, La terra insanguinata, Apri la so memoria » (Jean-Paul Poletti, Canta u Populu corsu). C’est tragiquement beau, c’est magnifiquement juste. Le poète a toujours raison. Et pour d’autres, aujourd’hui, que signifie « Aleria » ? Je leur ai demandé, ils ont répondu, simplement, signant leur contribution sans mentionner qualité ou titre (les mentions sont de la rédaction). Merci à eux.
Pierre Corsi
Crédit photo : JDC
L’Histoire de notre île et de son peuple s’est accélérée
Pour moi Aleria, au-delà de la seule occupation de la cave Depeille et de son dénouement tragique, ce sont ces jours cathartiques où l’Histoire de notre île et de son peuple qui s’était découvert mortel, s’est accélérée. C’est Edmond Simeoni, qui demeure à jamais l’incarnation de ces événements, avec sa voix et son visage à la fois résolus et inquiets. Ce sont aussi les photos de Gérard Koch qui figent à jamais la gravité de ces heures qui allaient signer notre avenir et dont le cours échappait irréversiblement à tout contrôle. Aleria, ce sont également deux gendarmes morts pour rien, victimes d’un assaut insensé mené par une troupe disproportionnée, révélatrice de l’incompréhension profonde de la situation corse par un État dont la responsabilité dans la survenance des événements est écrasante. Aleria, c’est enfin l’image romantique d’une cause juste et sacrée, dont la pureté de la défense n’avait pas encore été mise à l’épreuve par des décennies de violence politique, avec forcément leur lot de drames et de dérives, et par le désenchantement suscité par dix années d’exercice du pouvoir par ceux qui s’en réclament aujourd’hui les principaux héritiers.
Pierre Alessandrini
Militant politique
Une rupture avec un système colonial
Aleria ne se limite pas à un souvenir dans la mémoire collective. Cet événement marque une rupture avec un système colonial qui a longtemps reposé sur notre asservissement. En 1975, des hommes ont levé le voile sur l’injustice mais l'État a répondu par la violence, dévoilant ainsi son vrai visage. Aleria nous a appris une leçon fondamentale : les droits ne s'obtiennent pas par la demande, ils se conquièrent. Rien ne se réalise sans une lutte acharnée. Comme le disait Edmond Simeoni : « Un révolutionnaire, ou il gagne, ou il meurt. » Cinquante ans plus tard, la situation n'a pas évolué. Sans une détermination sans faille, l'autonomie, même si elle est brandie comme un objectif par certains militants, n'est qu'une illusion, une promesse vide de sens. Ceux qui espèrent une quelconque générosité de l'État se trompent lourdement. Aleria restera à jamais un symbole, un rappel que seul le rapport de force peut ouvrir la voie à la Nation Corse.
Fred Bagnaninchi
Militant politique et syndical
Le terreau élémentaire de la résistance
1975 n’est pas seulement la date fondatrice du Nationalisme, c’est la convergence de l’effondrement d’un empire colonial désabusé qui n’a pas su gérer les conséquences de son éclatement et de l’injustice sociale comme critère de revendications. Si la violence fut une issue de cette mobilisation, elle doit nous rappeler que toute lutte au nom de la liberté et de la justice ne doit jamais reprendre les méthodes des ennemis de la liberté. Néanmoins, l’héritage d'Aleria constitue le terreau élémentaire de la résistance, mais c’est un « héritage qui n’est précédé d’aucun testament », car en faire un testament, c’est clore notre présent dans le passé, nous empêchant de relever le défi du présent. Aleria fut une tentative de changer le présent. Si aujourd’hui notre présent semble clos, pour autant, ne pas agir ou essayer uniquement de le comprendre à partir d’une lecture figée et violente du passé, ne permettra pas de dépasser notre avenir.
Sacha Bastelica
Militant politique
Le réveil du peuple corse
J’ai 31 ans. Je suis d’une génération qui, au-delà des cercles militants, n’a à peu près aucune idée de ce qu’est Aleria. J’ai moi-même été structuré par ce mythe fondateur. Aleria. Le réveil du peuple corse derrière un leader messianique. Je me suis progressivement émancipé de ce récit. Ceux qui s’en revendiquent comme les héritiers nous ont largement aidé en la matière au vu de ce qu’ils ont fait de la Corse depuis 2015. Ce qu’est Aleria à mes yeux ? La fin d’une ère : celle des Corses tournés vers l’empire colonial. Le début d’une autre : la révolte et l’affirmation identitaire sous narratif tiers-mondiste. La volonté pour une partie des élites corses rejetées par les clans de se faire une place en s’appuyant sur une nouvelle génération et sur un nouveau discours. En récupérant celui qu’A Muvra défendait avant-guerre et en l’adaptant au contexte de décolonisation. Aleria a été nécessaire. Et il est désormais nécessaire de passer à autre chose. Un autre narratif. Une autre génération. Un autre Aleria.
Nicolas Battini
Militant politique et culturel
L’étincelle de la conscience corse
Le 22 août est une date qui m’est chère : c’est celle de mon anniversaire. Mais au-delà de cette coïncidence, la révolte de 1975 mérite d’être rappelée et honorée. Elle fut la révolte des gens honnêtes et travailleurs contre les malandrins, les passe-droits et les magouilles. Ce conflit a été sciemment alimenté par l’État français de l’époque, qui subventionnait et favorisait la spoliation des terres corses au profit des rapatriés d’Algérie. Une offense, un vol, une injustice flagrante que les Corses ont su repousser avec courage et dignité, grâce à une poignée d’hommes déterminés et à tout un peuple prêt à se lever à leurs côtés. Aleria fut l’étincelle de la conscience corse, celle d’un peuple qui refusait l’effacement. Une conscience malheureusement égarée, quelques décennies plus tard, dans les dérives gauchistes et tiers-mondistes du nationalisme actuel.
Filippo De Carlo
Militant politique
Les lignes de fractures d'Aleria.
Je pense qu'il convient d'avoir à l'esprit les fractures politiques et le contexte historique. Les fractures politiques sont de simples fissures qui s'élargiront.Elles sont visibles par des comportements, ainsi que par une sociologie et une psychologie politiques des acteurs présents. Ceux qui ne voulaient que des fusils de chasse et ceux qui ont mis en œuvre un FM. Ceux qui étaient là pour le fun, ceux qui avaient une expérience militaire au sein de l'armée française. Ceux qui avaient une vision politique pour l'émancipation nationale ou un simple patriotisme ancestral, ou des idéaux de l'air du temps qui pouvaient aller du poujadisme à la gauche tiers-mondiste. Et le courant ARC embrassait tout cela en s'appuyant sur de nouvelles générations. N'oublions pas l'opinion corse d'abord tétanisée puis en grande partie active dès que le sentiment d'injustice est monté contre la France marâtre. Je retiens l'importance des événements insurrectionnels du 27 Août qui préfigurent les futures décennies de combat et surtout la remarque d'un aîné, proche de l'adolescent interloqué que j'étais, qui m'a dit en remontant au village depuis Bastia le 28 août : « J'ai vu les automitrailleuses sur roues, les mêmes qu'en Algérie ! » (il avait été un appelé d’Algérie). Venons-en au contexte historique. Impossible de penser Aleria sans penser aux luttes de décolonisation, en particulier en Afrique. Évidemment que la Corse est en Europe et que comparaison n'est pas raison, ce sera d’ailleurs l'objet de toutes les dialectiques de la lutte de libération nationale, et même au sein du courant autonomiste attrape-tout car quand ce courant parlait avec courage intellectuel d'autonomie interne, beaucoup en son sein avaient en tête celle de Mendes France pour la Tunisie, courte transition vers l'indépendance. Le courant de la lutte qui un jour parlera d'autodétermination des peuples et s'en prendra à la base de Solenzara.
Gérard Dykstra
Militant politique et syndical
Un appel à la reconnaissance
Aleria a marqué un tournant décisif dans les relations complexes et souvent douloureuses entre la Corse et la République. Ce jour-là, des militants autonomistes occupent symboliquement une cave viticole pour faire entendre une revendication politique ancrée dans un sentiment d’injustice et d’abandon. La réponse de l’État, d’une rare fermeté, aboutit à un affrontement tragique (deux morts, un blessé grave). Plutôt que d’entendre le message, l’État choisit la force. Ce choix disproportionné a brisé tout espoir de dialogue apaisé et durable. Il a laissé une trace profonde dans les consciences insulaires, nourrissant un ressentiment qui traversera les décennies. La répression d'Aleria a été perçue non comme une réponse à un trouble à l’ordre public, mais comme un refus d’écouter une revendication politique portée pacifiquement jusqu’alors. Pour une génération de jeunes Corses, ce fut le signal d’un basculement. Le constat d’échec des voies démocratiques conduit, moins d’un an plus tard, à la naissance du FLNC. L’occupation de la cave d’Henri Depeille n’était pas une provocation : elle était un appel à la reconnaissance, à la justice sociale, à la dignité. Il n’a pas été entendu. Les leçons d'Aleria restent entières. Car si la violence politique a reculé, le besoin de reconnaissance demeure. Reconnaissance d’un peuple, d’une langue, d’une culture, mais aussi d’une mémoire. La mémoire d’un moment où la République, face à une contestation légitime, a préféré envoyer les blindés plutôt que d’ouvrir le dialogue.
François Filoni
Le déclic d’une résurgence du mouvement national
Pour beaucoup de Corses vivant hors de Corses, ce fût comme un détonateur. Mais pour mettre le feu aux poudres, encore faut-il qu’il y ait de la poudre. En moi, elle s’était accumulée lentement. Déjà, en février 1973, lors de l’affaire des « boues rouges », il ne manquait qu’une étincelle. J’avoue que mon patriotisme s’était préalablement forgé à partir d’événements bien moins géopolitiques. L’épopée du GFCA : quatre fois champion de France amateur entre 1963 et 1968 ; celle du SECB : finale de la Coupe de France 1972, campagne UEFA 1977-1978, coupe de France 1981. 1981, année de l’amnistie des militants du FLNC ! Me voilà revenu à notre point de départ politique. Au moment d’Aleria, j’effectuais mon service militaire. Au lieu d’occuper la cave Depeille, je faisais un exercice de tir au pistolet automatique. Je n’avais jamais tenu une arme et aurais raté un éléphant dans un couloir. Insolente réussite du débutant ou … « effet Aleria », j’ai atteint le mille à chaque coup. Toujours est-il que je n’ai jamais pu renouveler pareille performance. Après Aleria, enchaînement logique, d’abord le Comité Anti-Répression, le fameux CAR (merci au réseau de transports qui me permettait de prendre le bus pour me rendre... au CAR), puis, le Front dont je ne fus pas un militant historique mais une pièce rapportée (au sens littéral). Aleria a été le déclic d’une énième résurgence du mouvement national qui, depuis 1769, connaît des périodes de repli ou d’essor. Ce qui démontre la réalité et la persistance du problème corse. Ce qui est à méditer à un moment où il est question d’autonomie. Le débat est ouvert. Puisse-t-on ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, quitte à purifier l’eau si tant est qu’elle soit sale.
Jean-Dominique Gladieu
Militant politique
La question de la terre et de l’injustice foncière
Les événements d’Aleria en 1975, autour de la question de la terre et de l’injustice foncière, ont mis en lumière le sentiment d’exclusion d’une partie des Corses face aux dérives spéculatives et à l’absence d’emplois durables. Cinquante ans plus tard, la Corse reste la région la plus pauvre de France métropolitaine. La question sociale, la précarité et les inégalités territoriales demeurent criantes.Le processus d’autonomie en cours invite à s’interroger : peut-il répondre aux attentes économiques, environnementales et culturelles ? Pour le Parti socialiste, qui a donné à la Corse quatre statuts spécifiques de décentralisation, l’autonomie a du sens si elle s’enracine dans le principe de subsidiarité et une capacité réelle à agir, pas seulement une autonomie de l’Assemblée de Corse, mais une organisation permettant d’agir sur l’ensemble des politiques publiques locales, sans tutelle paralysante. C’est à cette condition qu’elle pourra améliorer la justice sociale et restaurer la confiance.
Jean-Baptiste Luccioni
Maire de Pitrusedda, militant politique
,
C’est toujours une date de référence
Aleria mais surtout Bastia, ont pesé sur l’engagement politique et culturel des lycéens que nous étions. Ce que l’on appellera plus tard u Riacquistu, n’a pas encore pris sa véritable ampleur, mais puisera dans ces journées d’août pour accélérer sur tous les plans. La Corse découvrait la contestation politique « noire et blanche » avec la répression massive - jusqu’ici inconnue - et la route des prisons, et ont débarqué dans notre quotidien les mots Libertà, populu, avvene et autunumia. Pour notre génération, dire « être Corse » ne suffira plus. Le temps sera désormais à l’affirmation, au sortir d’une époque très particulière où notre identité était vécue pratiquement comme un handicap, face à l’ascenseur social que représentait le français pour les vieilles générations. Si aujourd’hui le slogan « Sò Corsu ne sò fieru » peut frôler l’absurde, il concrétisait alors pour tous les Corses un sentiment d’appartenance jusqu’alors plutôt timide. Pour une bonne partie de la jeunesse, ce déclic constituait un contre-pied fondamental, profondément contestataire, en rupture avec tous les codes établis. Il marquait surtout un décalage historique de perspective entre ce que pensaient nos pères et ce que nous voulions. Cette incompréhension mettra du temps à s’estomper. Un demi-siècle plus tard, 22 août 1975, c’est toujours une date de référence. Je retiens de cette époque la renaissance d’une expression culturelle qui a rendu au peuple corse sa raison d’être, une force militante et une volonté collective pour continuer à résister pour exister.
Saveriu Luciani
Militant politique et culturel
Un évènement peut-être non voulu
Lors des évènements de l'occupation de la cave d'Aleria, j'avais 21 ans et un regard juvénile et romantique. Le sentiment d'injustice trouvait là son point culminant. 50 ans ont passé, les témoignages des acteurs de ce drame sont souvent très flous. Aleria a été, comme c'est souvent le cas chez nous, un évènement peut être non voulu par Edmond Simeoni qui s’était vu remis en question par une bonne partie de la jeunesse. Il aurait pris le train en marche craignant le « pire » car la fougue des étudiants de la CSC était imprévisible. La réaction de l’État le fut tout autant. Mais pouvait-il en être autrement puisqu'il fallait installer les colons pieds noirs. Ce qu'on appelait les « évènements d'Algérie » était toujours frais dans les mémoires et la volonté d'étouffer dans l’œuf toute velléité de « révolution à l'algérienne » a dû être un accélérateur de la réaction. En fait, en montant dans ce train révolutionnaire de jeunes étudiants fougueux, Edmond Simeoni est devenu le héros d'Aleria mais a aussi contribué à faire redescendre sur terre tous les Che Guevara qui étaient décidés à porter la lutte du peuple corse bien plus loin qu'une simple réforme institutionnelle et un changement de personnel politique.
Françoise Maushart (Capirossi)
Militante associative et politique
L'ouverture des portes du renouveau
Aleria a d'abord été l'ouverture des portes du renouveau dans une Corse sclérosée, en perte de repères et d'identité, enchâssée dans un système politique archaïque qui n'avait de démocratie que l'apparence. Aleria était le premier temps d'une mobilisation allée crescendo à tous les niveaux : politique, associatif, environnemental, culturel. Un espoir immense, un engouement collectif, une voie vers un horizon possible, des projets à foison...Une réconciliation de la Corse avec son être profond. La clé, une des clés d'un avenir collectif. d'Aleria jusqu'à la fin des années 1980, les Corses - principalement ceux issus des mouvances écologiste/corsiste/nationaliste - auront été extrêmement citoyens, au sens plein et noble du terme. Puis la flamme de l'espoir, après l'extrême enthousiasme, s'est mise à vaciller de plus en plus fortement : désunions, drames, désillusions, sentiment d'impuissance né de l'inefficace exercice du pouvoir eu égard aux attentes immenses, délitement, dérives sociétales… Mais les autres, par le passé, ont-ils fait mieux ? Certainement pas, quoi qu'on / qu'ils en disent. Feraient-ils fait mieux aujourd'hui ? Rien n'est moins sûr ! Le rêve né d'Aleria s'est-il fracassé sur le mur d'un supposé « réalisme politique » qui signerait la fin du « droit de rêver » ?J e dirais, à l'instar de Gramsci, que l'intelligence me porte au pessimisme et la volonté à l'optimisme. Il est plus que temps de relever la tête. Et les défis...
Ceccè Lanfranchi
Militant culturel et politique
Un tournant historique majeur
Aleria a marqué un tournant historique majeur pour la Corse. Cette occupation symbolique a cristallisé un profond sentiment d’injustice sociale et économique, nourri par un développement déséquilibré de l’île et une immigration mal maîtrisée, perçue comme une dépossession silencieuse. Au-delà de la révolte, Aleria a ravivé une conscience identitaire corse : autour de la langue, de la culture, de l’attachement à la terre, de l’aspiration à l’autodétermination. Dans ce contexte s’est amorcé le Riacquistu, une renaissance culturelle qui fait aujourd’hui partie de la richesse de l’héritage collectif que nous pourrons transmettre à nos enfants avec fierté. Aleria a ouvert un débat national sur le statut politique de la Corse, aboutissant à plusieurs statuts particuliers (1982, 1991, 2002). Mais ces avancées notables n’ont pas répondu aux aspirations profondes des autonomistes et indépendantistes. Le rêve initial d’émancipation est resté en partie inachevé. Les morts d’Aleria ont laissé une empreinte indélébile dans la mémoire collective insulaire. Elles ont aussi ouvert un cycle de conflits, de luttes, de souffrances humaines, de familles endeuillées des deux côtés dont un préfet. La création du FLNC, les manifestations et les années de tension politique ont façonné une époque où le militantisme a parfois pris des formes extrêmes, toujours animées par une volonté de justice pour la Corse. Alors, 50 ans après, peut-on se contenter de commémorer, ou faut-il aussi dresser un bilan lucide ? Une question s’impose : quelles avancées concrètes pour la Corse, dix ans après l’accession au pouvoir de la famille nationaliste ? C’est ce débat qu’il nous revient d’ouvrir avec sincérité, sans renier la mémoire ni l’histoire, mais avec lucidité et exigence envers nous-mêmes et ceux qui nous gouvernent aujourd’hui au nom de cette lutte.
Christophe Mondoloni
J’ai acquis la certitude que le peuple corse existait
J’étais un très jeune enfant mais conserve un souvenir aigu du procès. Mon père et ma sœur aînée y ont assisté dans son intégralité, tout comme aux manifestations, et je garde en mémoire les discussions familiales. Nous habitions en région parisienne. L’éloignement décuplait le sentiment d’appartenance à notre communauté malmenée. Cette période a contribué à forger mon idéal politique, humaniste, girondin et autonomiste. J’ai compris l’injustice née de ces événements et de la période qui les précéda. J’ai acquis la certitude que le peuple corse existait. Michel Rocard lors de son discours d’investiture à l’Assemblée Nationale en 1988 reconnut la responsabilité de l’État par des mots forts : « La tuerie d'Aleria a été ressentie comme la fin de tout espoir d’une amélioration consécutive à des discussions avec le gouvernement de la République et a donné le signal du recours à la violence, parce que tous les Corses, je crois sans exception, ont très bien compris que jamais une riposte pareille à une occupation de ferme n’aurait pu avoir lieu dans l’Hexagone. » En 2012, j’ai eu le privilège d’être présent à une rencontre entre Michel Rocard et Edmond Simeoni. Les mots que répéta ce jour-là l’homme d’État sur l’erreur d’appréciation commise par les autorités et ses conséquences politiques me confortèrent dans mes idées. Aleria fut un événement fondateur majeur de l’histoire contemporaine et politique entre la Corse et la France. Le premier d’une trop longue liste parfois tragique. Cinquante années plus tard, n’est-il pas temps de faire un inventaire pour les héritiers d’Aleria aux commandes de la Collectivité de Corse ou opposants, comme pour l’État chez qui persistent de vieux réflexes jacobins
Jean-Charles Orsucci
Maire de Bunifaziu, militant politique
Aleria, un'esempiu à ripiglià per l'avvene
Nantu e spalle di i Corsi pesa u piombu di i 50 anni d'Aleria, pesa stu fattu storicu impurtante purtatu dà Edmondu Simeoni cù i so amichi perche a ferita di a storia ùn s'he mai sallata. Dapoi a disfatta di Ponte Novu chi fubbe u principiu di a culunisazione francese, ci so sempre stati patriotti per difende a nostra terra, a nostra lingua, u nostru populu. L'evinamenti d'Aleria chi fubbenu a l'iniziu d'una presa di cuscenza generale, anu oghje un gustu d'amaru in bocca di u pocu di populu ch'ellu ci ferma. Invece di pruffittà di a situazione dilicata, u Statu francese centralisatore e giacubinu, chi pudia tandu fà prova di ricunniscenza e di rispettu per u nostru populu pigliandu decisioni intelligente, face u cuntrariu di ciò chi a logica chjamava di fà. 50 anni dopu u custatu inzerga l'esse di quelli chi speravanu un'altra andatura pulitica. Malgradu i sforzi fatti da certi omi pulitichi, simu diventati minuritarii in terra nostra, si perde a lingua, u sviluppu economicu ghje à zeru, l'agricultura muribonda, i trasporti assuffucati… E decizioni pulitiche sò troppu debule di pettu à i prublemi oghjinchi. Ci toccheria oghje di ripiglià l'esempiu puliticu per esse inde u filu storicu di ciò chi chjamanu « l'affaire d'Aleria », una rivolta intellettuale messa à u serviziu di u populu e di a Nazione. Aleria, un'esempiu à ripiglià per l'avvene, Ma forse toccheria à rifà un'Aleria in capu di tutti i Corsi scuzzulendu e cuscenze addurmintite e ripiglià un soffiu novu pè a salvezza è u ricordu di tanta speranza data da quelli chi eranu in sta cava d'Aleria !
Iviu Pasquali
Militant culturel
L'esprit d'Aleria, c'était la Résistance
Aleria .. puis Bastia.. déjà 50 ans et que de larmes et de sang depuis ? Ces évènements furent le déclencheur (précédé il est vrai par nombre d'autres moins connus ou moins médiatisés) certains parlent « d’acte fondateur », participant à une prise de conscience dans l'île, dénonciatrice de la situation catastrophique de la Corse d’alors, notamment pour la jeunesse, dont nous étions alors.L'occupation de la cave était pour nous, contestataires alors au sein de l'ARC, « le début d'autre chose ».. et le prélude à un renforcement de la lutte moderne du peuple corse pour son émancipation. Puis était né le FLNC, et l'île connut des avènements et des troubles plus ou moins dramatiques durant la période qui suivit. En 2015, le résultat de ces années de feu fut l'accession des nationalistes à la gestion de la Collectivité de Corse. L'esprit d'Aleria, avec les conditions et l'environnement d'alors, différentes certes de celles d’aujourd’hui, c'était la Résistance, le refus de disparaître, et a volonté de dire au monde « SEMU QUI, NOI I CORSI ». …. puisse demain notre peuple, - dans d'autres conditions et sans doute d'autres moyens que le peuple corse jugera bon de se donner- , toujours emprunter cette voie des engagements et des combats collectifs, porteuse d’espoir, et de le faire toujours avec détermination et force de conviction.
Pierrot Poggioli
Ce moment où le dialogue aurait pu commencer
L’occupation de la cave d’Aleria, en août 1975, ne fut pas un acte de violence gratuite, mais l’expression d’une colère agricole doublée d’un ras-le-bol social, et d’une revendication culturelle méprisée, dans une île alors oubliée par les politiques publiques. Ce que certains ont perçu comme une provocation était, pour beaucoup, une tentative désespérée d’alerter la République sur une situation intenable. Mais ce moment aurait pu être autre chose. Un point d’inflexion. Un signal entendu. Au lieu de cela, le président Valéry Giscard d’Estaing et le Premier ministre Jacques Chirac étaient en vacances. L’affaire fut donc gérée par le ministre de l’Intérieur, Michel Poniatowski, qui ordonna une intervention quasi militaire, avec blindés, hélicoptères et milliers d’hommes, comme si la Corse ne faisait pas tout à fait partie du même espace républicain. Le symbole est resté : à une tentative de dialogue, on a répondu par le raid d’Aleria. Et une fracture s’est creusée : profonde, mémorielle et douloureuse. Cinquante ans plus tard, il ne s’agit ni d’idéaliser ni de rejouer l’histoire, mais de reconnaître ce rendez-vous manqué, et de mesurer ce qu’il dit encore aujourd’hui de la relation entre l’État et la Corse.
Frédéric Poletti
Citoyen militant
Erate ottu, erate mille à scrive a storia
S’o chjodu l’ochji, sentu u frombu di l’elicotteru. Vecu e tante fiure di Gérard Koch. Si stacca a voce roza d’Edmond. E fucilate, i mughji è u silenziu. Natu dopu Aleria, sò impastatu da stu passatu. Testimunianze famigliale o raconti in a stampa, tuttu vene à buleghju per fà storia è memoria. Stu passatu hà sbucinatu un filu di stonde presente. Cumu serà ch’elli averanu mandatu tanta forza armata contr’à una manata di Corsi ? Cumu serà ch’una spressione publica ùn fussi intesa chè à fucile in manu ? Ci vulerà à risicà a vita per avè ghjustizia ? Pichja Aleria in core perchè chjama à risposte fundive di l’esistenza. Erate ottu, erate mille à scrive a storia. Senza a vostra lotta : università, terra, stintu, lascita micca.« Iè l'ani fatta eddi » dice u pueta Valentini. Eppuru fermanu tanti fochi, incertezze è inghjustizie.È cosa lasceremu noi cum’è storia à i nostri figlioli ? Averemu l’ardì di primurà ci ? Abbandoni d’oghje è indiature à mille manere seranu a storia dumane. ringrazià vi Edmond, Pierrot, Marcellu, Ghjuvan’Petru, Louis, Rigolu, Ghjacumu è tutti i vostri cumpagni d'Aleria 75.
Sébastien Quenot
Militant culturel
Le début de la lutte nationale de libération
J’avais 19 ans. Depuis 1973, j’étais impliqué dans le combat autonomiste. Je n’étais ni ARC, ni siméoniste. J’étais alors militant du Partitu di u Populu Corsu. A ce titre, je m’étais rendu à Corti pour le fameux meeting d’Edmond en 1975. J’avais été impressionne par son discours interrompu maintes fois par le slogan « I Francesi Fora » repris par des milliers de voix. La première fois que je le criais… Aleria marque le début de la lutte nationale de libération. Je n’étais pas dans la cave du colon Depeille. N’étant pas militant de l’ARC. Comme d’autres, je fus tout de suite solidaire. Je reste persuadé qu'Aleria est en partie la conséquence de la volonté des jeunes militants siméonistes de dépasser le régionalisme et prendre le chemin de l’autonomisme voire pour certains de l’indépendantisme. Mais cela n’enlève en rien au mérite d’Edmond et des militants qui étaient présents. Politiquement, Aleria marque un tournant dans les rapports France / Corse. Le France a montré son visage colonial et affiché sa volonté d’écraser dans l’œuf toutes velléités d’émancipation nationale du peuple corse. Elle s’est trompé ... Moins d’un an après, est né le FLNC. Peut-être ne serait-il jamais né si après Aleria, la France avait eu le courage de prendre en compte la question Corse. En accordant l’autonomie. La nuit de Bastia, après la dissolution de l’ARC, j’étais présent. Ce fut ma prise de conscience politique en faveur de l’indépendance. Aleria, nuit de Bastia, deux événements historiques creuset du nationalisme révolutionnaire et de son porte-drapeau u Fronte...
Roccu Rogliano
Un tournant et une étape
Aleria marque un tournant et une étape dans la lutte, particulièrement pour la Lutte de Libération Nationale. Mais 50 ans après, qui, raisonnablement parmi les militants et sympathisants qui ont fait et accompagné ce combat, peut penser que depuis 2015, l'histoire a continué à s'écrire dans le même sens ? Un amer constat qui, entre les postures des uns et la docilité des autres, rappelle que « l’esprit d’août 1975 » prête à la continuité d’une démarche, certes adaptée aux nouvelles et actuelles conditions, mais avec une stratégie qui n’écarte pas quand cela s’impose la désobéissance civile et la mobilisation populaire. Avec aussi une Collectivité à la hauteur des enjeux historiques et non dans une seule logique de « bonne gouvernance systémique ». Le débat actuel portant sur la dite « autonomie » sera l’occasion de voir si l'ensemble des organisations patriotiques saura prendre les responsabilités qui s’imposent pour arracher la solution politique historique avec, en toile de fond, l’incontournable reconnaissance des droits imprescriptibles du Peuple Corse. Parce que Aleria n’est pas seulement une « affaire de vinasse », c’est surtout un moment de résistance, de confrontation et de détermination face à u « francesi feroci ». Cela a incontestablement influencé mon engagement d’alors.
Ulivieru Sauli
Militant politique
Les raisons de la colère
22 août 1975 la Corse se réveille au bruit des automitrailleuses de la gendarmerie, le ministre Poniatowski choisit l’affrontement. Il y aura des morts et des blessés, un bref mais intense épisode d’émeutes. Le PCF fait alors le choix de s’adresser aux Corses dans un tract intitulé « Vive la France». Il condamnait le choix répressif du gouvernement giscardien, s’opposait à sa politique désastreuse et appelait les travailleurs à la combattre en rejetant le slogan diviseur et xénophobe IFF. Le PCF publiera également « Les raisons de la colère » pour montrer les effets du capitalisme monopoliste d’état en Corse, à la lumière des mobilisations sociales et populaires précédentes. Avec le mot d’ordre « Vivre, travailler, décider au pays », la CGT et le PCF les prolongeront en revendiquant l’industrialisation de la Corse pour l’emploi et l’augmentation des salaires contre la cherté de la vie. Pour les travailleurs ces conditions sociales déplorables ont perduré et empiré, quand bien même depuis une décennie une majorité nationaliste gère la Corse avec un pouvoir plus étendu et concentré qu’avant
Michel Stefani
Militant politique
Era l’iniziu d’una lotta di parechji decennii
Hè statu l’affare d’Aleria un mumentu impurtante di a mio giuventù. Avia quindec’anni. M’arricordu, eramu à a Petra di Verde incù u mio fratellu più giovanu è mammone, mentre i nostri parenti eranu fermati in Bastia à travaglià. Aviamu amparatu a nutizia à a radiu. Qualchì ghjornu nanzu, eramu sottu à u tendone di Corti per stà à sente à u discorsu d’Edmond, cum’è tutti l’anni. Ma sta volta quì e parolle eranu più dure, u tonu assai più dramaticu. Edmond era statu chjaru : « Pouvons-nous utiliser de façon responsable, réfléchie, mais déterminée, tous les moyens qu’implique cette légitime défense ? » A folla rispundia mughjendu : I Francesi fora ! ». Si sentia bè chì qualcosa avia da accade. Fù versatu u sangue è qualchì mese dopu fù creatu u Fronte. Era l’iniziu d’una lotta di parechji decennii.
Jean-Guy Talamoni
Militant politique
Un drame qui aurait dû être évité
Les évènements d’Aleria sont d’abord synonymes d’un drame dont j’ai pu percevoir dans ma jeunesse insouciante la dimension tragique. Un drame qui aurait dû être évité. La réaction disproportionnée des forces de l’ordre à une action, certes fondée mais illégale et condamnable par l’usage des armes menant à l’irréparable. Un drame qui a conduit à la création du FLNC, fondateur de la résistance à l’oppression de l’État dans l’écriture du roman historique nationaliste. Mais qui à mes yeux a eu des conséquences néfastes pour la Corse tant cette violence nous a plongé dans 40 années de morts, de destructions, de perversion des valeurs, et s’est transformée en une dérive mafieuse qui gangrène aujourd’hui notre société. Il nous a entraîné en outre dans la recherche avec l’État de solutions institutionnelles extra-ordinaires, là où, dans le cadre de la décentralisation, des réponses peuvent et doivent être apportées intelligemment à nos spécificités en se rapprochant d’autres territoires rencontrant des problématiques similaires.
Jean Zuccarelli
Militant politique
Depuis l’enfance, Aleria occupe une place particulière dans mon esprit. S’y bousculent : l’oppidum de l’antique Alalia et le musée, qui était alors vieillot, où des balades et visites avec mon grand-père ont suscité ma passion pour l’Histoire et le Patrimoine ; les étangs où, lors d’un crépuscule, j’ai imaginé les allées et venues des galères de la flotte de Misène. Et aussi, plus effectif, A Vaccaghja, le hameau où, il y a déjà près d’un siècle, dans l’ancienne maison cantonnière, est née ma mère. Depuis un certain soir, celui du 22 août 1975, dans mon esprit, Aleria, c’est aussi « Aleria » et une somme de souvenirs. Je me souviens que ce soir d’été, ayant incidemment pris connaissance des événements dont la cave Depeille avait été le théâtre, j’ai ressenti le besoin instinctif d’être solidaire des militants contre lesquels il avait été dépêché une armée. Je me remémore m’être, ce soir là, dix fois répété : « Ils ont raison ! ». Sans trop savoir pourquoi…Je me rappelle que, les mois qui ont suivi, j’ai éprouvé puis assumé l’irrésistible volonté de me joindre à une démarche qui n‘avait jusqu’alors jamais été la mienne : proposer au Peuple corse des perspectives autres que l’assistanat, l’exil, la dépossession, l’acculturation, la dilution, la disparition. « Aleria » a suscité en moi l’envie d’être acteur d’un combat collectif et d’une Renaissance. 50 années plus tard, « Aleria » reste pour moi ce moment où quelques uns, en étant venus exiger justice et ayant refusé de plier, ont redonné à leur peuple confiance et conscience d’avoir sa place dans l’histoire et le futur. « Quel venneri d'Aostu, Si discito la storia, La terra insanguinata, Apri la so memoria » (Jean-Paul Poletti, Canta u Populu corsu). C’est tragiquement beau, c’est magnifiquement juste. Le poète a toujours raison. Et pour d’autres, aujourd’hui, que signifie « Aleria » ? Je leur ai demandé, ils ont répondu, simplement, signant leur contribution sans mentionner qualité ou titre (les mentions sont de la rédaction). Merci à eux.
Pierre Corsi
Crédit photo : JDC
L’Histoire de notre île et de son peuple s’est accélérée
Pour moi Aleria, au-delà de la seule occupation de la cave Depeille et de son dénouement tragique, ce sont ces jours cathartiques où l’Histoire de notre île et de son peuple qui s’était découvert mortel, s’est accélérée. C’est Edmond Simeoni, qui demeure à jamais l’incarnation de ces événements, avec sa voix et son visage à la fois résolus et inquiets. Ce sont aussi les photos de Gérard Koch qui figent à jamais la gravité de ces heures qui allaient signer notre avenir et dont le cours échappait irréversiblement à tout contrôle. Aleria, ce sont également deux gendarmes morts pour rien, victimes d’un assaut insensé mené par une troupe disproportionnée, révélatrice de l’incompréhension profonde de la situation corse par un État dont la responsabilité dans la survenance des événements est écrasante. Aleria, c’est enfin l’image romantique d’une cause juste et sacrée, dont la pureté de la défense n’avait pas encore été mise à l’épreuve par des décennies de violence politique, avec forcément leur lot de drames et de dérives, et par le désenchantement suscité par dix années d’exercice du pouvoir par ceux qui s’en réclament aujourd’hui les principaux héritiers.
Pierre Alessandrini
Militant politique
Une rupture avec un système colonial
Aleria ne se limite pas à un souvenir dans la mémoire collective. Cet événement marque une rupture avec un système colonial qui a longtemps reposé sur notre asservissement. En 1975, des hommes ont levé le voile sur l’injustice mais l'État a répondu par la violence, dévoilant ainsi son vrai visage. Aleria nous a appris une leçon fondamentale : les droits ne s'obtiennent pas par la demande, ils se conquièrent. Rien ne se réalise sans une lutte acharnée. Comme le disait Edmond Simeoni : « Un révolutionnaire, ou il gagne, ou il meurt. » Cinquante ans plus tard, la situation n'a pas évolué. Sans une détermination sans faille, l'autonomie, même si elle est brandie comme un objectif par certains militants, n'est qu'une illusion, une promesse vide de sens. Ceux qui espèrent une quelconque générosité de l'État se trompent lourdement. Aleria restera à jamais un symbole, un rappel que seul le rapport de force peut ouvrir la voie à la Nation Corse.
Fred Bagnaninchi
Militant politique et syndical
Le terreau élémentaire de la résistance
1975 n’est pas seulement la date fondatrice du Nationalisme, c’est la convergence de l’effondrement d’un empire colonial désabusé qui n’a pas su gérer les conséquences de son éclatement et de l’injustice sociale comme critère de revendications. Si la violence fut une issue de cette mobilisation, elle doit nous rappeler que toute lutte au nom de la liberté et de la justice ne doit jamais reprendre les méthodes des ennemis de la liberté. Néanmoins, l’héritage d'Aleria constitue le terreau élémentaire de la résistance, mais c’est un « héritage qui n’est précédé d’aucun testament », car en faire un testament, c’est clore notre présent dans le passé, nous empêchant de relever le défi du présent. Aleria fut une tentative de changer le présent. Si aujourd’hui notre présent semble clos, pour autant, ne pas agir ou essayer uniquement de le comprendre à partir d’une lecture figée et violente du passé, ne permettra pas de dépasser notre avenir.
Sacha Bastelica
Militant politique
Le réveil du peuple corse
J’ai 31 ans. Je suis d’une génération qui, au-delà des cercles militants, n’a à peu près aucune idée de ce qu’est Aleria. J’ai moi-même été structuré par ce mythe fondateur. Aleria. Le réveil du peuple corse derrière un leader messianique. Je me suis progressivement émancipé de ce récit. Ceux qui s’en revendiquent comme les héritiers nous ont largement aidé en la matière au vu de ce qu’ils ont fait de la Corse depuis 2015. Ce qu’est Aleria à mes yeux ? La fin d’une ère : celle des Corses tournés vers l’empire colonial. Le début d’une autre : la révolte et l’affirmation identitaire sous narratif tiers-mondiste. La volonté pour une partie des élites corses rejetées par les clans de se faire une place en s’appuyant sur une nouvelle génération et sur un nouveau discours. En récupérant celui qu’A Muvra défendait avant-guerre et en l’adaptant au contexte de décolonisation. Aleria a été nécessaire. Et il est désormais nécessaire de passer à autre chose. Un autre narratif. Une autre génération. Un autre Aleria.
Nicolas Battini
Militant politique et culturel
L’étincelle de la conscience corse
Le 22 août est une date qui m’est chère : c’est celle de mon anniversaire. Mais au-delà de cette coïncidence, la révolte de 1975 mérite d’être rappelée et honorée. Elle fut la révolte des gens honnêtes et travailleurs contre les malandrins, les passe-droits et les magouilles. Ce conflit a été sciemment alimenté par l’État français de l’époque, qui subventionnait et favorisait la spoliation des terres corses au profit des rapatriés d’Algérie. Une offense, un vol, une injustice flagrante que les Corses ont su repousser avec courage et dignité, grâce à une poignée d’hommes déterminés et à tout un peuple prêt à se lever à leurs côtés. Aleria fut l’étincelle de la conscience corse, celle d’un peuple qui refusait l’effacement. Une conscience malheureusement égarée, quelques décennies plus tard, dans les dérives gauchistes et tiers-mondistes du nationalisme actuel.
Filippo De Carlo
Militant politique
Les lignes de fractures d'Aleria.
Je pense qu'il convient d'avoir à l'esprit les fractures politiques et le contexte historique. Les fractures politiques sont de simples fissures qui s'élargiront.Elles sont visibles par des comportements, ainsi que par une sociologie et une psychologie politiques des acteurs présents. Ceux qui ne voulaient que des fusils de chasse et ceux qui ont mis en œuvre un FM. Ceux qui étaient là pour le fun, ceux qui avaient une expérience militaire au sein de l'armée française. Ceux qui avaient une vision politique pour l'émancipation nationale ou un simple patriotisme ancestral, ou des idéaux de l'air du temps qui pouvaient aller du poujadisme à la gauche tiers-mondiste. Et le courant ARC embrassait tout cela en s'appuyant sur de nouvelles générations. N'oublions pas l'opinion corse d'abord tétanisée puis en grande partie active dès que le sentiment d'injustice est monté contre la France marâtre. Je retiens l'importance des événements insurrectionnels du 27 Août qui préfigurent les futures décennies de combat et surtout la remarque d'un aîné, proche de l'adolescent interloqué que j'étais, qui m'a dit en remontant au village depuis Bastia le 28 août : « J'ai vu les automitrailleuses sur roues, les mêmes qu'en Algérie ! » (il avait été un appelé d’Algérie). Venons-en au contexte historique. Impossible de penser Aleria sans penser aux luttes de décolonisation, en particulier en Afrique. Évidemment que la Corse est en Europe et que comparaison n'est pas raison, ce sera d’ailleurs l'objet de toutes les dialectiques de la lutte de libération nationale, et même au sein du courant autonomiste attrape-tout car quand ce courant parlait avec courage intellectuel d'autonomie interne, beaucoup en son sein avaient en tête celle de Mendes France pour la Tunisie, courte transition vers l'indépendance. Le courant de la lutte qui un jour parlera d'autodétermination des peuples et s'en prendra à la base de Solenzara.
Gérard Dykstra
Militant politique et syndical
Un appel à la reconnaissance
Aleria a marqué un tournant décisif dans les relations complexes et souvent douloureuses entre la Corse et la République. Ce jour-là, des militants autonomistes occupent symboliquement une cave viticole pour faire entendre une revendication politique ancrée dans un sentiment d’injustice et d’abandon. La réponse de l’État, d’une rare fermeté, aboutit à un affrontement tragique (deux morts, un blessé grave). Plutôt que d’entendre le message, l’État choisit la force. Ce choix disproportionné a brisé tout espoir de dialogue apaisé et durable. Il a laissé une trace profonde dans les consciences insulaires, nourrissant un ressentiment qui traversera les décennies. La répression d'Aleria a été perçue non comme une réponse à un trouble à l’ordre public, mais comme un refus d’écouter une revendication politique portée pacifiquement jusqu’alors. Pour une génération de jeunes Corses, ce fut le signal d’un basculement. Le constat d’échec des voies démocratiques conduit, moins d’un an plus tard, à la naissance du FLNC. L’occupation de la cave d’Henri Depeille n’était pas une provocation : elle était un appel à la reconnaissance, à la justice sociale, à la dignité. Il n’a pas été entendu. Les leçons d'Aleria restent entières. Car si la violence politique a reculé, le besoin de reconnaissance demeure. Reconnaissance d’un peuple, d’une langue, d’une culture, mais aussi d’une mémoire. La mémoire d’un moment où la République, face à une contestation légitime, a préféré envoyer les blindés plutôt que d’ouvrir le dialogue.
François Filoni
Le déclic d’une résurgence du mouvement national
Pour beaucoup de Corses vivant hors de Corses, ce fût comme un détonateur. Mais pour mettre le feu aux poudres, encore faut-il qu’il y ait de la poudre. En moi, elle s’était accumulée lentement. Déjà, en février 1973, lors de l’affaire des « boues rouges », il ne manquait qu’une étincelle. J’avoue que mon patriotisme s’était préalablement forgé à partir d’événements bien moins géopolitiques. L’épopée du GFCA : quatre fois champion de France amateur entre 1963 et 1968 ; celle du SECB : finale de la Coupe de France 1972, campagne UEFA 1977-1978, coupe de France 1981. 1981, année de l’amnistie des militants du FLNC ! Me voilà revenu à notre point de départ politique. Au moment d’Aleria, j’effectuais mon service militaire. Au lieu d’occuper la cave Depeille, je faisais un exercice de tir au pistolet automatique. Je n’avais jamais tenu une arme et aurais raté un éléphant dans un couloir. Insolente réussite du débutant ou … « effet Aleria », j’ai atteint le mille à chaque coup. Toujours est-il que je n’ai jamais pu renouveler pareille performance. Après Aleria, enchaînement logique, d’abord le Comité Anti-Répression, le fameux CAR (merci au réseau de transports qui me permettait de prendre le bus pour me rendre... au CAR), puis, le Front dont je ne fus pas un militant historique mais une pièce rapportée (au sens littéral). Aleria a été le déclic d’une énième résurgence du mouvement national qui, depuis 1769, connaît des périodes de repli ou d’essor. Ce qui démontre la réalité et la persistance du problème corse. Ce qui est à méditer à un moment où il est question d’autonomie. Le débat est ouvert. Puisse-t-on ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, quitte à purifier l’eau si tant est qu’elle soit sale.
Jean-Dominique Gladieu
Militant politique
La question de la terre et de l’injustice foncière
Les événements d’Aleria en 1975, autour de la question de la terre et de l’injustice foncière, ont mis en lumière le sentiment d’exclusion d’une partie des Corses face aux dérives spéculatives et à l’absence d’emplois durables. Cinquante ans plus tard, la Corse reste la région la plus pauvre de France métropolitaine. La question sociale, la précarité et les inégalités territoriales demeurent criantes.Le processus d’autonomie en cours invite à s’interroger : peut-il répondre aux attentes économiques, environnementales et culturelles ? Pour le Parti socialiste, qui a donné à la Corse quatre statuts spécifiques de décentralisation, l’autonomie a du sens si elle s’enracine dans le principe de subsidiarité et une capacité réelle à agir, pas seulement une autonomie de l’Assemblée de Corse, mais une organisation permettant d’agir sur l’ensemble des politiques publiques locales, sans tutelle paralysante. C’est à cette condition qu’elle pourra améliorer la justice sociale et restaurer la confiance.
Jean-Baptiste Luccioni
Maire de Pitrusedda, militant politique
,
C’est toujours une date de référence
Aleria mais surtout Bastia, ont pesé sur l’engagement politique et culturel des lycéens que nous étions. Ce que l’on appellera plus tard u Riacquistu, n’a pas encore pris sa véritable ampleur, mais puisera dans ces journées d’août pour accélérer sur tous les plans. La Corse découvrait la contestation politique « noire et blanche » avec la répression massive - jusqu’ici inconnue - et la route des prisons, et ont débarqué dans notre quotidien les mots Libertà, populu, avvene et autunumia. Pour notre génération, dire « être Corse » ne suffira plus. Le temps sera désormais à l’affirmation, au sortir d’une époque très particulière où notre identité était vécue pratiquement comme un handicap, face à l’ascenseur social que représentait le français pour les vieilles générations. Si aujourd’hui le slogan « Sò Corsu ne sò fieru » peut frôler l’absurde, il concrétisait alors pour tous les Corses un sentiment d’appartenance jusqu’alors plutôt timide. Pour une bonne partie de la jeunesse, ce déclic constituait un contre-pied fondamental, profondément contestataire, en rupture avec tous les codes établis. Il marquait surtout un décalage historique de perspective entre ce que pensaient nos pères et ce que nous voulions. Cette incompréhension mettra du temps à s’estomper. Un demi-siècle plus tard, 22 août 1975, c’est toujours une date de référence. Je retiens de cette époque la renaissance d’une expression culturelle qui a rendu au peuple corse sa raison d’être, une force militante et une volonté collective pour continuer à résister pour exister.
Saveriu Luciani
Militant politique et culturel
Un évènement peut-être non voulu
Lors des évènements de l'occupation de la cave d'Aleria, j'avais 21 ans et un regard juvénile et romantique. Le sentiment d'injustice trouvait là son point culminant. 50 ans ont passé, les témoignages des acteurs de ce drame sont souvent très flous. Aleria a été, comme c'est souvent le cas chez nous, un évènement peut être non voulu par Edmond Simeoni qui s’était vu remis en question par une bonne partie de la jeunesse. Il aurait pris le train en marche craignant le « pire » car la fougue des étudiants de la CSC était imprévisible. La réaction de l’État le fut tout autant. Mais pouvait-il en être autrement puisqu'il fallait installer les colons pieds noirs. Ce qu'on appelait les « évènements d'Algérie » était toujours frais dans les mémoires et la volonté d'étouffer dans l’œuf toute velléité de « révolution à l'algérienne » a dû être un accélérateur de la réaction. En fait, en montant dans ce train révolutionnaire de jeunes étudiants fougueux, Edmond Simeoni est devenu le héros d'Aleria mais a aussi contribué à faire redescendre sur terre tous les Che Guevara qui étaient décidés à porter la lutte du peuple corse bien plus loin qu'une simple réforme institutionnelle et un changement de personnel politique.
Françoise Maushart (Capirossi)
Militante associative et politique
L'ouverture des portes du renouveau
Aleria a d'abord été l'ouverture des portes du renouveau dans une Corse sclérosée, en perte de repères et d'identité, enchâssée dans un système politique archaïque qui n'avait de démocratie que l'apparence. Aleria était le premier temps d'une mobilisation allée crescendo à tous les niveaux : politique, associatif, environnemental, culturel. Un espoir immense, un engouement collectif, une voie vers un horizon possible, des projets à foison...Une réconciliation de la Corse avec son être profond. La clé, une des clés d'un avenir collectif. d'Aleria jusqu'à la fin des années 1980, les Corses - principalement ceux issus des mouvances écologiste/corsiste/nationaliste - auront été extrêmement citoyens, au sens plein et noble du terme. Puis la flamme de l'espoir, après l'extrême enthousiasme, s'est mise à vaciller de plus en plus fortement : désunions, drames, désillusions, sentiment d'impuissance né de l'inefficace exercice du pouvoir eu égard aux attentes immenses, délitement, dérives sociétales… Mais les autres, par le passé, ont-ils fait mieux ? Certainement pas, quoi qu'on / qu'ils en disent. Feraient-ils fait mieux aujourd'hui ? Rien n'est moins sûr ! Le rêve né d'Aleria s'est-il fracassé sur le mur d'un supposé « réalisme politique » qui signerait la fin du « droit de rêver » ?J e dirais, à l'instar de Gramsci, que l'intelligence me porte au pessimisme et la volonté à l'optimisme. Il est plus que temps de relever la tête. Et les défis...
Ceccè Lanfranchi
Militant culturel et politique
Un tournant historique majeur
Aleria a marqué un tournant historique majeur pour la Corse. Cette occupation symbolique a cristallisé un profond sentiment d’injustice sociale et économique, nourri par un développement déséquilibré de l’île et une immigration mal maîtrisée, perçue comme une dépossession silencieuse. Au-delà de la révolte, Aleria a ravivé une conscience identitaire corse : autour de la langue, de la culture, de l’attachement à la terre, de l’aspiration à l’autodétermination. Dans ce contexte s’est amorcé le Riacquistu, une renaissance culturelle qui fait aujourd’hui partie de la richesse de l’héritage collectif que nous pourrons transmettre à nos enfants avec fierté. Aleria a ouvert un débat national sur le statut politique de la Corse, aboutissant à plusieurs statuts particuliers (1982, 1991, 2002). Mais ces avancées notables n’ont pas répondu aux aspirations profondes des autonomistes et indépendantistes. Le rêve initial d’émancipation est resté en partie inachevé. Les morts d’Aleria ont laissé une empreinte indélébile dans la mémoire collective insulaire. Elles ont aussi ouvert un cycle de conflits, de luttes, de souffrances humaines, de familles endeuillées des deux côtés dont un préfet. La création du FLNC, les manifestations et les années de tension politique ont façonné une époque où le militantisme a parfois pris des formes extrêmes, toujours animées par une volonté de justice pour la Corse. Alors, 50 ans après, peut-on se contenter de commémorer, ou faut-il aussi dresser un bilan lucide ? Une question s’impose : quelles avancées concrètes pour la Corse, dix ans après l’accession au pouvoir de la famille nationaliste ? C’est ce débat qu’il nous revient d’ouvrir avec sincérité, sans renier la mémoire ni l’histoire, mais avec lucidité et exigence envers nous-mêmes et ceux qui nous gouvernent aujourd’hui au nom de cette lutte.
Christophe Mondoloni
J’ai acquis la certitude que le peuple corse existait
J’étais un très jeune enfant mais conserve un souvenir aigu du procès. Mon père et ma sœur aînée y ont assisté dans son intégralité, tout comme aux manifestations, et je garde en mémoire les discussions familiales. Nous habitions en région parisienne. L’éloignement décuplait le sentiment d’appartenance à notre communauté malmenée. Cette période a contribué à forger mon idéal politique, humaniste, girondin et autonomiste. J’ai compris l’injustice née de ces événements et de la période qui les précéda. J’ai acquis la certitude que le peuple corse existait. Michel Rocard lors de son discours d’investiture à l’Assemblée Nationale en 1988 reconnut la responsabilité de l’État par des mots forts : « La tuerie d'Aleria a été ressentie comme la fin de tout espoir d’une amélioration consécutive à des discussions avec le gouvernement de la République et a donné le signal du recours à la violence, parce que tous les Corses, je crois sans exception, ont très bien compris que jamais une riposte pareille à une occupation de ferme n’aurait pu avoir lieu dans l’Hexagone. » En 2012, j’ai eu le privilège d’être présent à une rencontre entre Michel Rocard et Edmond Simeoni. Les mots que répéta ce jour-là l’homme d’État sur l’erreur d’appréciation commise par les autorités et ses conséquences politiques me confortèrent dans mes idées. Aleria fut un événement fondateur majeur de l’histoire contemporaine et politique entre la Corse et la France. Le premier d’une trop longue liste parfois tragique. Cinquante années plus tard, n’est-il pas temps de faire un inventaire pour les héritiers d’Aleria aux commandes de la Collectivité de Corse ou opposants, comme pour l’État chez qui persistent de vieux réflexes jacobins
Jean-Charles Orsucci
Maire de Bunifaziu, militant politique
Aleria, un'esempiu à ripiglià per l'avvene
Nantu e spalle di i Corsi pesa u piombu di i 50 anni d'Aleria, pesa stu fattu storicu impurtante purtatu dà Edmondu Simeoni cù i so amichi perche a ferita di a storia ùn s'he mai sallata. Dapoi a disfatta di Ponte Novu chi fubbe u principiu di a culunisazione francese, ci so sempre stati patriotti per difende a nostra terra, a nostra lingua, u nostru populu. L'evinamenti d'Aleria chi fubbenu a l'iniziu d'una presa di cuscenza generale, anu oghje un gustu d'amaru in bocca di u pocu di populu ch'ellu ci ferma. Invece di pruffittà di a situazione dilicata, u Statu francese centralisatore e giacubinu, chi pudia tandu fà prova di ricunniscenza e di rispettu per u nostru populu pigliandu decisioni intelligente, face u cuntrariu di ciò chi a logica chjamava di fà. 50 anni dopu u custatu inzerga l'esse di quelli chi speravanu un'altra andatura pulitica. Malgradu i sforzi fatti da certi omi pulitichi, simu diventati minuritarii in terra nostra, si perde a lingua, u sviluppu economicu ghje à zeru, l'agricultura muribonda, i trasporti assuffucati… E decizioni pulitiche sò troppu debule di pettu à i prublemi oghjinchi. Ci toccheria oghje di ripiglià l'esempiu puliticu per esse inde u filu storicu di ciò chi chjamanu « l'affaire d'Aleria », una rivolta intellettuale messa à u serviziu di u populu e di a Nazione. Aleria, un'esempiu à ripiglià per l'avvene, Ma forse toccheria à rifà un'Aleria in capu di tutti i Corsi scuzzulendu e cuscenze addurmintite e ripiglià un soffiu novu pè a salvezza è u ricordu di tanta speranza data da quelli chi eranu in sta cava d'Aleria !
Iviu Pasquali
Militant culturel
L'esprit d'Aleria, c'était la Résistance
Aleria .. puis Bastia.. déjà 50 ans et que de larmes et de sang depuis ? Ces évènements furent le déclencheur (précédé il est vrai par nombre d'autres moins connus ou moins médiatisés) certains parlent « d’acte fondateur », participant à une prise de conscience dans l'île, dénonciatrice de la situation catastrophique de la Corse d’alors, notamment pour la jeunesse, dont nous étions alors.L'occupation de la cave était pour nous, contestataires alors au sein de l'ARC, « le début d'autre chose ».. et le prélude à un renforcement de la lutte moderne du peuple corse pour son émancipation. Puis était né le FLNC, et l'île connut des avènements et des troubles plus ou moins dramatiques durant la période qui suivit. En 2015, le résultat de ces années de feu fut l'accession des nationalistes à la gestion de la Collectivité de Corse. L'esprit d'Aleria, avec les conditions et l'environnement d'alors, différentes certes de celles d’aujourd’hui, c'était la Résistance, le refus de disparaître, et a volonté de dire au monde « SEMU QUI, NOI I CORSI ». …. puisse demain notre peuple, - dans d'autres conditions et sans doute d'autres moyens que le peuple corse jugera bon de se donner- , toujours emprunter cette voie des engagements et des combats collectifs, porteuse d’espoir, et de le faire toujours avec détermination et force de conviction.
Pierrot Poggioli
Ce moment où le dialogue aurait pu commencer
L’occupation de la cave d’Aleria, en août 1975, ne fut pas un acte de violence gratuite, mais l’expression d’une colère agricole doublée d’un ras-le-bol social, et d’une revendication culturelle méprisée, dans une île alors oubliée par les politiques publiques. Ce que certains ont perçu comme une provocation était, pour beaucoup, une tentative désespérée d’alerter la République sur une situation intenable. Mais ce moment aurait pu être autre chose. Un point d’inflexion. Un signal entendu. Au lieu de cela, le président Valéry Giscard d’Estaing et le Premier ministre Jacques Chirac étaient en vacances. L’affaire fut donc gérée par le ministre de l’Intérieur, Michel Poniatowski, qui ordonna une intervention quasi militaire, avec blindés, hélicoptères et milliers d’hommes, comme si la Corse ne faisait pas tout à fait partie du même espace républicain. Le symbole est resté : à une tentative de dialogue, on a répondu par le raid d’Aleria. Et une fracture s’est creusée : profonde, mémorielle et douloureuse. Cinquante ans plus tard, il ne s’agit ni d’idéaliser ni de rejouer l’histoire, mais de reconnaître ce rendez-vous manqué, et de mesurer ce qu’il dit encore aujourd’hui de la relation entre l’État et la Corse.
Frédéric Poletti
Citoyen militant
Erate ottu, erate mille à scrive a storia
S’o chjodu l’ochji, sentu u frombu di l’elicotteru. Vecu e tante fiure di Gérard Koch. Si stacca a voce roza d’Edmond. E fucilate, i mughji è u silenziu. Natu dopu Aleria, sò impastatu da stu passatu. Testimunianze famigliale o raconti in a stampa, tuttu vene à buleghju per fà storia è memoria. Stu passatu hà sbucinatu un filu di stonde presente. Cumu serà ch’elli averanu mandatu tanta forza armata contr’à una manata di Corsi ? Cumu serà ch’una spressione publica ùn fussi intesa chè à fucile in manu ? Ci vulerà à risicà a vita per avè ghjustizia ? Pichja Aleria in core perchè chjama à risposte fundive di l’esistenza. Erate ottu, erate mille à scrive a storia. Senza a vostra lotta : università, terra, stintu, lascita micca.« Iè l'ani fatta eddi » dice u pueta Valentini. Eppuru fermanu tanti fochi, incertezze è inghjustizie.È cosa lasceremu noi cum’è storia à i nostri figlioli ? Averemu l’ardì di primurà ci ? Abbandoni d’oghje è indiature à mille manere seranu a storia dumane. ringrazià vi Edmond, Pierrot, Marcellu, Ghjuvan’Petru, Louis, Rigolu, Ghjacumu è tutti i vostri cumpagni d'Aleria 75.
Sébastien Quenot
Militant culturel
Le début de la lutte nationale de libération
J’avais 19 ans. Depuis 1973, j’étais impliqué dans le combat autonomiste. Je n’étais ni ARC, ni siméoniste. J’étais alors militant du Partitu di u Populu Corsu. A ce titre, je m’étais rendu à Corti pour le fameux meeting d’Edmond en 1975. J’avais été impressionne par son discours interrompu maintes fois par le slogan « I Francesi Fora » repris par des milliers de voix. La première fois que je le criais… Aleria marque le début de la lutte nationale de libération. Je n’étais pas dans la cave du colon Depeille. N’étant pas militant de l’ARC. Comme d’autres, je fus tout de suite solidaire. Je reste persuadé qu'Aleria est en partie la conséquence de la volonté des jeunes militants siméonistes de dépasser le régionalisme et prendre le chemin de l’autonomisme voire pour certains de l’indépendantisme. Mais cela n’enlève en rien au mérite d’Edmond et des militants qui étaient présents. Politiquement, Aleria marque un tournant dans les rapports France / Corse. Le France a montré son visage colonial et affiché sa volonté d’écraser dans l’œuf toutes velléités d’émancipation nationale du peuple corse. Elle s’est trompé ... Moins d’un an après, est né le FLNC. Peut-être ne serait-il jamais né si après Aleria, la France avait eu le courage de prendre en compte la question Corse. En accordant l’autonomie. La nuit de Bastia, après la dissolution de l’ARC, j’étais présent. Ce fut ma prise de conscience politique en faveur de l’indépendance. Aleria, nuit de Bastia, deux événements historiques creuset du nationalisme révolutionnaire et de son porte-drapeau u Fronte...
Roccu Rogliano
Un tournant et une étape
Aleria marque un tournant et une étape dans la lutte, particulièrement pour la Lutte de Libération Nationale. Mais 50 ans après, qui, raisonnablement parmi les militants et sympathisants qui ont fait et accompagné ce combat, peut penser que depuis 2015, l'histoire a continué à s'écrire dans le même sens ? Un amer constat qui, entre les postures des uns et la docilité des autres, rappelle que « l’esprit d’août 1975 » prête à la continuité d’une démarche, certes adaptée aux nouvelles et actuelles conditions, mais avec une stratégie qui n’écarte pas quand cela s’impose la désobéissance civile et la mobilisation populaire. Avec aussi une Collectivité à la hauteur des enjeux historiques et non dans une seule logique de « bonne gouvernance systémique ». Le débat actuel portant sur la dite « autonomie » sera l’occasion de voir si l'ensemble des organisations patriotiques saura prendre les responsabilités qui s’imposent pour arracher la solution politique historique avec, en toile de fond, l’incontournable reconnaissance des droits imprescriptibles du Peuple Corse. Parce que Aleria n’est pas seulement une « affaire de vinasse », c’est surtout un moment de résistance, de confrontation et de détermination face à u « francesi feroci ». Cela a incontestablement influencé mon engagement d’alors.
Ulivieru Sauli
Militant politique
Les raisons de la colère
22 août 1975 la Corse se réveille au bruit des automitrailleuses de la gendarmerie, le ministre Poniatowski choisit l’affrontement. Il y aura des morts et des blessés, un bref mais intense épisode d’émeutes. Le PCF fait alors le choix de s’adresser aux Corses dans un tract intitulé « Vive la France». Il condamnait le choix répressif du gouvernement giscardien, s’opposait à sa politique désastreuse et appelait les travailleurs à la combattre en rejetant le slogan diviseur et xénophobe IFF. Le PCF publiera également « Les raisons de la colère » pour montrer les effets du capitalisme monopoliste d’état en Corse, à la lumière des mobilisations sociales et populaires précédentes. Avec le mot d’ordre « Vivre, travailler, décider au pays », la CGT et le PCF les prolongeront en revendiquant l’industrialisation de la Corse pour l’emploi et l’augmentation des salaires contre la cherté de la vie. Pour les travailleurs ces conditions sociales déplorables ont perduré et empiré, quand bien même depuis une décennie une majorité nationaliste gère la Corse avec un pouvoir plus étendu et concentré qu’avant
Michel Stefani
Militant politique
Era l’iniziu d’una lotta di parechji decennii
Hè statu l’affare d’Aleria un mumentu impurtante di a mio giuventù. Avia quindec’anni. M’arricordu, eramu à a Petra di Verde incù u mio fratellu più giovanu è mammone, mentre i nostri parenti eranu fermati in Bastia à travaglià. Aviamu amparatu a nutizia à a radiu. Qualchì ghjornu nanzu, eramu sottu à u tendone di Corti per stà à sente à u discorsu d’Edmond, cum’è tutti l’anni. Ma sta volta quì e parolle eranu più dure, u tonu assai più dramaticu. Edmond era statu chjaru : « Pouvons-nous utiliser de façon responsable, réfléchie, mais déterminée, tous les moyens qu’implique cette légitime défense ? » A folla rispundia mughjendu : I Francesi fora ! ». Si sentia bè chì qualcosa avia da accade. Fù versatu u sangue è qualchì mese dopu fù creatu u Fronte. Era l’iniziu d’una lotta di parechji decennii.
Jean-Guy Talamoni
Militant politique
Un drame qui aurait dû être évité
Les évènements d’Aleria sont d’abord synonymes d’un drame dont j’ai pu percevoir dans ma jeunesse insouciante la dimension tragique. Un drame qui aurait dû être évité. La réaction disproportionnée des forces de l’ordre à une action, certes fondée mais illégale et condamnable par l’usage des armes menant à l’irréparable. Un drame qui a conduit à la création du FLNC, fondateur de la résistance à l’oppression de l’État dans l’écriture du roman historique nationaliste. Mais qui à mes yeux a eu des conséquences néfastes pour la Corse tant cette violence nous a plongé dans 40 années de morts, de destructions, de perversion des valeurs, et s’est transformée en une dérive mafieuse qui gangrène aujourd’hui notre société. Il nous a entraîné en outre dans la recherche avec l’État de solutions institutionnelles extra-ordinaires, là où, dans le cadre de la décentralisation, des réponses peuvent et doivent être apportées intelligemment à nos spécificités en se rapprochant d’autres territoires rencontrant des problématiques similaires.
Jean Zuccarelli
Militant politique