Exposition de Stéphane Castelli, peintre à la Galerie Noirr et Blanc de Bastia
Une géographie humaine de « L’homme sans l’homme »
Stéphane Castelli, peintre
Une géographie humaine de « L’homme sans l’homme »
De ses toiles, de ses peintures sur Kraft ou papier Canson, Stéphane Castelli dit qu’elles content « L’homme sans l’homme ». Et c’est vrai que d’humains dans ses œuvres il n’y a point… Et pourtant leur présence est partout : dans ces villages qui escaladent ou descendent des pentes, dans le métamorphisme des roches qui se ruent les unes sur les autres en faisceaux bruns ou rouille, dans ces ciels dorés ou grisaillant.
Copier les grands maîtres, quoi de plus formateur
À 55 ans et barbu — comme de bien entendu — Stéphane Castelli expose depuis près de vingt années ainsi qu’il vient de le faire à « La Galerie Noir et Blanc » de Bastia. Peintre autodidacte il a cependant toujours dessiné, toujours peint… même si sa vocation d’artiste a d’abord été contrariée : obligé par ses parents d’étudier le droit parce que — comme de bien entendu (encore) — c’est plus sûr ! Originaire de Cervione, enfant de la diaspora, il est né à Pantin puis a fait escale dans diverses villes de l’hexagone au gré des affectations de ses père et mère.
Les arts plastiques, Stéphane Castelli va alors les étudier dans les musées qui croisent sa route. Copier les grands maîtres, quoi de plus formateur ! C’est à Narbonne qu’il ressent le déclic. Pourquoi ne pas exposer son travail ? Il pousse la porte d’une galerie. La propriétaire du lieu est convaincue. Résultat positif : il vend quelques pièces. Ce succès le pousse à tenter sa chance dans les salons de beaux-arts parisiens. Bonne initiative : par deux fois il est médaillé.
Quand on lui demande à quel style rattacher sa peinture, l’artiste réplique par la réponse d’un critique d’art : « Pas facile à qualifier ! ... » Mais au fond le style d’un plasticien n’est-ce pas au visiteur de le trouver ? Lorsque celui-ci sait regarder avec ses yeux grands ouverts et ressentir les œuvres avec sensibilité et subtilité.
Une œuvre qui stimule l’imaginaire ou appelle à la méditation
Dans sa toute récente exposition on découvre dans ses toiles l’empreinte du village du peintre. On la discerne. On l’imagine aisément. Peut-être ce village caracole-t-il aux flancs des coteaux ? Peut-être se fige-t-il dans l’immobilité sous l’emprise d’un ciel à la Turner ondulant du mordoré au cuivré. Des tableaux déclinent aussi des falaises stylisées comme celles des coupes géologiques dessinées sur des cartes de géographie dévoilant les profondeurs des roches, qui révèlent les âges de la terre. Ces abrupts tombent à pic sur des espaces blancs et naviguent curieusement sur des lignes d’horizon. Il leur arrive également d’esquisser des formes aux allures d’animaux mythologiques, des bêtes bizarres surgies d’un bestiaire énigmatique.
Les œuvres de Stéphane Castelli, et c’est le plus réussi, stimulent par moment l’imaginaire ou appellent à la méditation.
Michèle Acquaviva-Pache
Clés pour comprendre !
Dans un coin de son exposition à La Galerie Noir et Blanc Stéphane Castelli avait affiché quelques indications pour mieux saisir les nuances de sa peinture. Il avait choisi la forme questions – réponses avec une pointe d’humour :
• Espace blanc ? Le silence qui entoure le cri.
• La roche anthropomorphique ? L’évocation de l’homme debout.
• Le fil noir ? Entre chaos et structures.
• La ligne ? Elle devient architecture.
• L’arbre nu ? Métaphore de la persistance du vivant.
• Les teintes ? Les émotions compactées.
ENTRETIEN AVEC STÉPHANE CASTELLI
Sur vos toiles on remarque souvent de grands espaces blancs. Pourquoi ?
Je n’éprouve pas le besoin de remplir une toile et c’est le cas de bien d’autres peintres. Si une toile est bien pensée, elle est porteuse de suffisamment d’éléments. Je déteste surcharger une peinture. Je veux qu’elle respire.
Votre travail semble connoter beaucoup l’architecture ? Vrai ou erroné ?
L’architecture est chez moi un rêve refoulé. J’en suis fan en particulier quand c’est celle de Le Corbusier, d’Oscar Niemeyer, d’Auguste Perret à qui on doit la reconstruction du Havre détruite pendant la guerre… Perret, Niemeyer, Le Corbusier, ces artistes ont réinventé l’architecture contemporaine !
Vos œuvres évoquent aussi une géométrie curieusement vivante. Cette impression est-elle juste ?
J’aime les choses très cadrées, très organisées. Quand j’imagine une toile, je recherche une forme d’équilibre même si le sujet est excentré. J’ai l’habitude de travailler au sol en tournant autour du tableau, en changeant d’angle, d’approche si j’en ai envie. C’est alors que je m’attarde sur le blanc, car cette couleur permet à l’œil de se reposer. Car elle est un refuge pour les yeux. Car c’est le blanc et l’espace blanc qui dirigent le regard des gens.
Quels supports, quels matériaux choisissez-vous ?
Toile de lin, Canson, Kraft, voilà mes supports. Lorsque je fais des esquisses, par contre c’est sur simple papier. Dès que je vois que je m’engage sur un travail plus fouillé, je passe à la toile de lin. Je peins à l’acrylique parce que ça sèche vite. Pinceaux ou couteaux j’utilise les deux. Contrairement à de nombreux peintres qui refusent l’emploi du vernis, je ne m’en prive pas. Brillant, satiné, mat je me détermine en fonction de l’œuvre. Le vernis a l’intérêt de protéger la toile et de faire ressortir l’éclat des pigments.
À découvrir certaines de vos toiles, on pourrait penser au cubisme ?
Si à une époque j’ai peint une série de cubes sur fond noir, où sont dessinées des portes, c’est par goût du graphisme. Mais je dirai plutôt que ma référence c’est le suprématisme parce que j’admire surtout Malevitch, et qu’il a sur moi une influence importante. À bien regarder ce que je fais, les villages présents sur mes toiles sont une simulation, fruit de triangles, de rectangles…
D’où vous vient l’obsession du trait noir ?
Ce trait est à la base de la peinture même quand il est question d’abstraction… Le trait conduit à l’épure.
En dehors de Malevitch quels sont les artistes qui vous ont influencé ?
Egon Schiele que je trouve admirable. Bernard Buffet, qui n’est plus guère estimé aujourd’hui mais que j’ai découvert lors d’une rétrospective à Paris et dont les intérieurs représentés dans ses tableaux m’ont enthousiasmé. William Turner pour ces ciels extraordinaires. Francis Bacon pour ses atmosphères si particulières.
Pour quelles raisons la récurrence de la couleur orange dans vos œuvres ?
L’orange m’a été inspiré par les calanques de Piana, cet orange qui imprègne la roche et qui réfléchit si bien la lumière. Mais j’aime encore beaucoup les teintes sourdes : les bruns, les ocres, les rouille, les marrons et certains gris. La seule couleur que je ne maîtrise pas trop c’est le bleu !
La gamme des bruns est très fréquente dans votre travail. On la retrouve dans presque toutes vos réalisations ?
Le brun c’est la terre… la terre essentielle… Il m’est même arrivé d’en ramasser, de la malaxer, de la broyer, de la mélanger pour en composer des tableaux.
Parfois vous centrez votre travail sur des portes, des marches, des escaliers… Est-ce pour indiquer une recherche de liberté ou à l’opposé pour exprimer un désir de repli sur soi ?
C’est tout à la fois envie de liberté et désir d’enfermement. Une porte donne une impression de mystère et à partir de là on peut tout imaginer… Ma peinture, si je résume c’est l’homme sans l’homme. L’humain n’apparait pas mais sous-jacent il est toujours là ! Pour symboliser la vie je choisi l’arbre qui rebourgeonnera au printemps… à moins qu’il ne meure.
On dit de votre peinture qu’elle est dépouillée. Etes-vous d’accord ?
Elle n’est pas dépouillée mais épurée. Ce n’est pas parce que je ne peins qu’un élément qu’il n’y a pas de travail. Dépouillée n’est donc pas le terme exact. En fait à travers ma peinture c’est moi que je raconte. Moi, que je mets en scène !
M.A-P
Photo : M.A.P