• Le doyen de la presse Européenne

GAZA : nommer , comprendre , agir

Il est des mots qui pèsent plus lourd que des bombes
Gaza : nommer, comprendre, agir

Il est des mots qui pèsent plus lourd que des bombes. Le terme de « génocide » appartient à cette catégorie. Inventé par Raphael Lemkin pour nommer l’anéantissement systématique des Juifs d’Europe, il a depuis été mobilisé à travers le monde avec une extension variable. Chaque fois, la question demeure : à partir de quel seuil la destruction d’un peuple ou d’une partie de ce peuple cesse-t-elle d’être un massacre et devient-elle un génocide ?

Gaza au seuil tragique

Aujourd’hui, Gaza semble avoir franchi ce seuil. Vraisemblablement plus de cent mille morts dont 83% de civils, des quartiers rayés de la carte, des familles dispersées, la faim, la maladie et l’humiliation. On ne compte plus les témoignages d’ONG parlant de famine organisée, ni les images de civils fauchés pour avoir cherché du pain. Albert Camus écrivait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Mal nommer Gaza, ce serait refuser de voir que l’entreprise de destruction dépasse la logique militaire pour viser l’existence même d’une population sur son territoire et la volonté de l’extrême droite israélienne d’arriver au Grand Israël du Jourdain jusqu’à la mer détruisant ainsi toute possibilité d’état palestinien, réponse miroir à la même expression utilisée par les antisémites antisionistes.

Mais employer le mot de génocide n’est pas neutre. Certains le brandissent depuis longtemps, voyant dans l’État d’Israël l’incarnation d’un « génocide continu » depuis 1948. Cette thèse essentialise, et transforme le terme en fétiche idéologique. Or Hannah Arendt nous avertissait que la confusion entre l’analyse et le ressentiment nourrit toujours le désastre : « Le mal radical, disait-elle, commence quand les hommes deviennent superflus. » Confondre la critique légitime d’une politique criminelle avec une haine diffuse des « sionistes » n’aide ni les Palestiniens, ni la vérité.

Les échos de l’Histoire

Comparer Gaza à d’autres tragédies permet de retrouver la mesure. En premier lieu, le monde arabo-musulman a, depuis deux siècles systématiquement éradiqué de son territoire toutes les autres religions : hébraïque, chrétiennes ou ésotériques. L’urbicide de Marioupol en Ukraine avec vraisemblablement également ses 100.00 morts, les charniers du Rwanda et son million de fantômes, ou celui du million et demi d’Arméniens et autant de Chrétiens syriaques disent quelque chose d’universel : la volonté exprimée de faire disparaître une identité par la terreur. Primo Levi, rescapé des camps, insistait : « C’est arrivé, cela peut donc arriver encore. » Voilà pourquoi les mots importent : ils ne sont pas seulement mémoire, mais aussi avertissement. Que le monde reconnaisse ou pas une dynamique génocidaire à Gaza, il doit agir pour empêcher la continuation du massacre massif de civil. L’indignation seule n’a jamais sauvé une vie.

Or l’action tarde. Les États qui prétendent incarner le droit international s’en tiennent à des condamnations verbales comme en Ukraine, comme au Soudan, comme en Syrie. L’histoire se répète : en 1994, le Rwanda s’embrasait tandis que la communauté internationale détournait les yeux et la France aidait les génocidaires. Fermer les yeux sur Gaza, c’est laisser l’indifférence accomplir ce que la violence a commencé.

Cela ne signifie pas que tout se vaut. La spécificité de chaque massacre et génocide doit être reconnue, sous peine de banalisation. Gaza n’est pas Auschwitz. Mais la logique de déshumanisation et de destruction collective exprimée par le gouvernement israélien est glaçante. D’ailleurs, des voix israéliennes toujours plus nombreuses — journalistes, soldats, mouvements civiques — dénoncent les crimes en cours, parfois les qualifie de « génocide » et c’est justement cette contestation qui distingue la situation d’un régime totalitaire comme l’Iran, l’Égypte ou même les Émirats où aucune contestation n’était possible. Mais cette différence ne saurait minimiser la gravité de ce qui se déroule : elle montre seulement que l’espoir de résistance existe dans la société israélienne faute de s’exprimer dans les régimes voisins.

De l’indignation à l’action

La conclusion est simple et redoutable : nommer le génocide, c’est assumer l’obligation morale de le prévenir. Camus, qui soutenait avec ferveur l’état d’Israël, appelait à être « ni victimes ni bourreaux » : il nous sommait de refuser la passivité. Sauver les Palestiniens de Gaza ne se fera pas par les slogans ni les symboles, mais par une pression politique et, peut-être, par des interventions concrètes. À Gaza, le temps ne compte plus en jours mais en vies. Chaque heure de silence ajoute une strate au tombeau collectif. Et agir pour que, cette fois, l’Histoire n’écrive pas à nouveau la chronique d’une indifférence complice qui, en plus des victimes gazouies, jouera in fine contre l’intérêt même des Israéliens.

GXC
Crédit photo : Electronic intifafa
Partager :