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A-t-on le droit moral d'être en bonne santé quand les autres sont malades ?

<< La santé d'un peuple est la force de sa loi et la mémoire de sa liberté >>

A-t-on le droit moral d’être en bonne santé quand les autres sont malades ?


« La santé d’un peuple est la force de sa loi et la mémoire de sa liberté. » — Marc’Antonio Ceccaldi, Chronique de la Corse, XVIᵉ siècle

Une question dérangeante pour notre époque

La question choque notre époque, qui tend à confondre santé et égalité. On voudrait croire que, si certains souffrent, il serait presque indécent que d’autres se portent bien. Or, pour les Anciens comme pour les cités de la Renaissance, la réponse était claire : oui — et mieux encore, c’est un devoir.

La santé comme ressource collective

À Venise comme à Gênes, la santé n’était pas seulement un bien personnel : elle était une ressource collective. Un citoyen sain servait la défense, la prospérité, la transmission. Un corps social malade, lui, appelait la ruine. Cette conviction donna naissance à des politiques d’une rigueur que nos contemporains jugeraient impitoyable.
En 1423, Venise institua sur l’île de Santa Maria di Nazareth (aujourd’hui San Lazzaro Vecchio) le premier lazaret permanent d’Europe, pour isoler quarante jours — quarantena — voyageurs et marchandises suspects de peste. En 1468, un second lazaret suivit. Les entrées dans la lagune étaient surveillées comme les portes d’un trésor : mieux valait refuser un navire que risquer l’épidémie. Dans le même esprit, la Sérénissime organisa ses ospedali, œuvres à la fois charitables et disciplinaires, destinées à soigner pauvres et malades tout en préservant l’ordre et la vertu publique.

Venise et Gênes, cités de discipline

Gênes, de son côté, savait qu’une paix trop longue fragilisait la cohésion. Ses chroniques — de Jacques de Voragine (Legenda aurea, XIIIᵉ siècle) à Marc’Antonio Ceccaldi (XVIᵉ siècle) — montrent une cité toujours prête à détourner les tensions internes vers l’extérieur : expéditions maritimes, guerres territoriales.
Marc’Antonio Ceccaldi (vers 1505-1561), issu d’une famille corse de la Balagne (Belgodère), servit fidèlement la République génoise tout en restant profondément attaché à son île. Son œuvre, qui prolonge l’Istoria di Corsica de Giovanni della Grossa (mort en 1464) et de Pietro Cirneo (v. 1447-1507), couvre les années 1525-1559 : guerres franco-espagnoles, incursions barbaresques, soulèvements internes. Elle ne se limite pas à raconter les faits : elle exprime une conviction centrale — la survie d’un peuple dépend de sa cohésion, de sa discipline et de la préservation de son identité. Comme pour Gênes elle-même, la « santé » de la Corse se mesurait autant à sa capacité militaire qu’à la solidité de ses traditions et de ses lois.

La menace de la contamination morale

Ces républiques cosmopolites par nécessité pratiquaient l’ouverture… mais sous contrôle strict. Le commerce se faisait avec tous ; l’implantation durable, elle, était limitée et surveillée. Elles savaient qu’au-delà des maladies, le péril venait aussi de la contamination morale et culturelle : langue altérée, mœurs transformées, foi fragilisée.
Ce que Venise et Gênes redoutaient se retrouve aujourd’hui sous une autre forme : l’immigration de masse, incontrôlée, qui menace à la fois la santé publique — réintroduisant pathologies disparues, habitudes sanitaires étrangères — et la santé culturelle. Car la culture d’une société est son système immunitaire invisible : ses lois, ses usages, sa mémoire collective. Les fragiliser, c’est désarmer la cité.

Le devoir de rester fort

Le devoir moral d’un individu ou d’une nation n’est pas de se laisser contaminer au nom d’une fraternité mal comprise, mais de rester fort, sain, intact, afin de pouvoir aider, résister, transmettre. Laisser dépérir volontairement sa santé, physique ou culturelle, parce que d’autres sont malades, n’est pas solidarité : c’est capitulation.
La Renaissance le savait : on ne sauve pas un navire en ouvrant ses cales à la mer. On le sauve en le maintenant à flot, pour recueillir les naufragés — ou repousser les assaillants.

Un devoir civique

La santé des sociétés, culture comprise, n’est pas un droit individuel. C’est un devoir civique.
Un devoir qui engage l’honneur, la survie et l’avenir de la communauté tout entière.


Jean Paravisin Marchi d’Ambiegna
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