• Le doyen de la presse Européenne

Les marionnettes ont la vie dure

De la comptine à la farce politique

Les marionnettes ont la vie dure
(Un titre que n’eût pas renié San-Antonio)



De la comptine à la farce politique

Ainsi font, font, font les petites marionnettes…
C’était une comptine que chantaient les enfants lorsque j’en étais un. Ce n’était pas hier.
… trois petits tours et puis s’en vont.
Le problème du jour, c’est qu’elles ne s’en vont plus. Plus jamais. L’incrustation de la marionnette dans le paysage politique, c’est un peu le phénomène inverse de la cristallisation du sentiment amoureux chez Stendhal. Là où Stendhal voyait naître, dans l’esprit ébloui de l’amoureux, la beauté de l’être aimé, nous voyons naître, dans la conscience accablée du citoyen, la hideur du pantin. Rien n’était au départ — qu’un vide affectif, une attente de sens, une espérance d’autorité — et puis soudain, hop !, l’on nous a plaqué sur l’écran un visage, une gestuelle, une voix. Et la répétition a fait le reste : l’habitude a remplacé l’amour.

La cristallisation à rebours

La population française vit une cristallisation à rebours : l’objet de son attention forcée devient l’objet de son dégoût. À force de le voir, de l’entendre, de le supporter jusque dans les plus intimes recoins de la vie publique, le citoyen finit par ne plus le supporter du tout. Il est dans la même situation que ces couples épuisés par le trop-plein de présence : on voudrait le silence, un peu d’absence, un peu de mystère, et l’on reçoit, chaque jour, la marionnette animée, clignotante, commentée, gesticulante. L’omniprésence fabrique l’indifférence, puis la nausée.

Le rejet du pantin

À quatorze pour cent d’opinions résiduelles favorables, on ne parle plus d’érosion, mais d’allergie. Le corps social rejette son greffon comme un organisme sain rejette l’intrus. L’image du chef, répétée à l’infini, s’est incrustée dans la rétine nationale : impossible de l’effacer sans se crever les yeux. Cette omniprésence télévisuelle, ces poses calculées, ces discours d’enfant-roi persuadé que le monde l’écoute, ont produit un phénomène de saturation. Ce n’est plus le spectacle du pouvoir, c’est le pouvoir du spectacle.

Le règne du simulacre

Le pantin se meut, grimace, s’émeut de lui-même. Il fait semblant de commander à la tempête, mais c’est le vent médiatique qui tire les fils. Dans ce théâtre d’ombres, l’on confond la corde et la couronne, la ficelle et le sceptre. Ce pouvoir, à force d’être mimé, n’est plus que mimique. Et la France, spectatrice fatiguée, assiste au ballet mécanique des petits tours : réforme, recul, communication, relance — trois tours et puis recommence.

L’ère du pantin immortel

Mais la marionnette, à la différence de celle de nos enfances, ne s’en va pas à la fin de la chanson. Elle s’accroche, se réinvente, se maquille en héros du renouveau, en sage, en guide, en futur sauveur d’un monde qu’elle a contribué à détruire. C’est le propre du pantin moderne : il ne connaît pas la sortie. La corde n’est plus suspendue à un clou, mais au câble de la diffusion continue. Tant qu’il y aura des caméras, il y aura des marionnettes.

Le gouvernement du sursis

Et voici la farce apeurée, celle qui se joue ces jours-ci dans les coulisses du pouvoir. La pétoche du scrutin paralyse le régisseur. On n’ose plus dissoudre, de peur que le peuple, convoqué à juger, ne tranche sans pitié. On fait mine d’y songer, on consulte, on palpite, puis on recule : le rideau tremble, mais ne se lève pas. C’est le gouvernement du sursis, l’art d’éviter la sanction comme on évite le miroir. Le pantin tremble, mais non par émotion — par peur du vide. La dissolution, dans sa bouche, n’est plus qu’un mot terrifiant, synonyme de disparition. Le roi-marionnette, lui, ne veut plus mourir : il veut durer, fût-ce dans la honte et la grimace.

Un San-Antonio manqué

Frédéric Dard, qui savait sonder la sottise humaine avec le scalpel du rire, en aurait fait un San-Antonio tonitruant : Les marionnettes ont la vie dure, un titre de polar social à faire frémir Bérurier lui-même, tant la farce tourne à la tragédie. Il y aurait ajouté quelques jurons, deux ou trois clins d’œil à la France d’en bas, et cette tendresse cachée sous la gouaille. Mais même lui n’aurait pu imaginer ce théâtre d’aujourd’hui, où les marionnettes s’auto-commandent et où les fils, tirés de nulle part, se mettent à bouger tout seuls.

Le crépuscule du pantin

Hélas, la chair quitte les os. Le masque se fissure et déjà le dénouement se devine. Quand la voix suraiguë du prince se fait aujourd’hui entendre depuis son vaniteux palais, de sa parole — qui fut celle d’un pays que l’Histoire accompagna de gloire — on n’entend plus que l’odieux caquetage.

Jean Paravisin Marchi d’Ambiegna
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