" Une citoyenne volontaire ", Film de Jean Pierre Mattei
Noëlle Vincensini sur tous les fronts !
« Une citoyenne volontaire », film de Jean Pierre Mattei
Noëlle Vincensini sur tous les fronts !
Lutte contre le racisme. Contre la barbarie nazie. Contre la fraude insulaire. Pour un cinéma en Corse. Pour les radios libres. Pour la transmission de la mémoire afin que jamais ne revienne l’horreur hitlérienne de la Seconde Guerre mondiale. Pour la décolonisation. Réalisatrice de documentaires ici. Autrice. Mère de quatre enfants. C’est cette femme, Noëlle Vincensini, que nous fait revivre le film de Jean Pierre Mattei, « Une citoyenne volontaire ».
Singuliers. Roboratifs. Enthousiasmants
Les images tournées par le fondateur de la Cinémathèque de Corse datent de 2007. C’est un long plan-séquence d’une heure durant lequel se raconte celle qui fut une personnalité rare, « toujours à contre-courant » comme elle a aimé le dire avec autant d’humour que de sérieux. En général cette manière de filmer adoptée par Jean Pierre Mattei peut devenir vite un brin ennuyeux ! Mais il n’en est rien en l’occurrence tant les propos de cette combattante engagée sur tous les fronts sont vifs. Singuliers. Roboratifs. Enthousiasmants. Sans doute parce que la conteuse qu’elle est au fond d’elle-même, sait interpeller, faire réfléchir, et saisir à ceux qui la regarde et l’écoute ce qu’il y a derrière ses points de suspension ou d’interrogation !
Née à Piedicroce, envoyée par ses parents à Montpellier pour ses études, Noëlle entre dans la Résistance et rejoint les FTP. Dénoncée, torturée, elle est déportée au camp de Ravensbrück. Réussit à s’échapper de la « Marche de la mort ». Libérée finalement par les soldats de l’Armée rouge.
La paix venue, la femme de gauche qu’elle est, s’engage au PCF tant à Paris que dans les Cévennes de son mari, Jean Pierre Chabrol, l’écrivain.
Le retour dans l’île
Divorce. Retour dans son île de naissance, elle continue le combat pour la justice. Pour la Liberté. Pour l’égalité. À une Corse plutôt éteinte par les vicissitudes elle apporte un air neuf, un souffle vivifiant. L’énoncé de quelques dates suffise à le prouver : 1978, animatrice à Radio Balbuzard (une radio libre) où l’on parle corse à la fureur de certains clanistes. 1975 — 1985, réalisatrice de trois forts documentaires sur l’agropastoralisme et les traditions insulaires. Des films tournés au prix d’invraisemblables difficultés. 1981, création avec un groupe d’amis de Sinemassoci, en soutien à la production d’un 7e art en Corse. 1986, formation d’Avà Basta après l’assassinat de deux Tunisiens par le FLNC en et pour contrer l’influence des Le Pen sur l’île. Années quatre-vingt-dix : partie prenante d’un cercle de bonnes volontés désirant mettre un coup d’arrêt aux meurtres entre nationalistes… Hélas sans succès !
À 12 ans déjà, dans une lettre adressée au Général Gamelin, Noëlle s’indignait des accords de Munich. En réponse, réception d’un mot de félicitation pour son patriotisme… signée par celui qui deviendra le Général de Gaulle, auteur de l’appel du 18 juin qu’elle entendra… une destinée toute tracée de rebelle !
Michèle Acquaviva-Pache
• « Une citoyenne volontaire » était projetée dans le cadre du festival, « Camera Pulitica », organisé par Arte Mare.
Encadré
« Pénélope »
Brassens écrit et compose la chanson « Pénélope » qu’il dédie à Noëlle. Une chanson qui la montre sous un jour inattendu : celui d’une épouse, petite fée du logis ! Il y a beaucoup d’amusement dans les paroles de Brassens contant une « Penelope intraitable » qu’il semonce pour son trop d’abnégation : « N’as-tu jamais encore/ Appelé de tes veux/ L’amoureux qui passe/ Qui vous prend aux cheveux/ Qui vous compte des bagatelles...
ENTRETIEN AVEC JEAN PIERRE MATTEI, réalisateur, fondateur de la Cinémathèque de Corse.
Quand avez-vous tourné cet entretien avec Noëlle Vincensini ?
Cette interview date de vingt ans. Je tenais la caméra. Noëlle s’est exprimée pendant six heures. L’idée de cet entretien à bâtons rompus était de son ami d’enfance Marcel Santoni. Après le décès de Noëlle, je suis allé voir Paul Ceccaldi, qui fait un gros travail culturel à Marignana. Je lui ai montré les images que j’avais tournées… Bien sûr, c’était très très long, mais il m’a fortement encouragé à en réaliser un film. Je me suis adressé à Jean Marc Siaudeau pour le montage, car il s’y connaît. Il a été, en effet, enseignant de cinéma au lycée de Porto Vecchio. L’originalité du film c’est d’évoquer la globalité du parcours de Noëlle Vincensini, alors qu’on a toujours sollicité son témoignage sur un aspect de sa vie : Radio Balbuzard, Ava Basta, le camp de Ravensbrück…
Pour quoi la chanson de Brassens, “Pénélope”, en ouverture du film ?
« Pénélope » concerne le moment où Noëlle était mariée à Jean Pierre Chabrol, conteur, écrivain. Le couple vivait entre les Cévennes et Paris où il connaissait toute l’intelligentsia des années 50 – 60 : Aragon, Elsa Triolet, Costa Gavras, Montand, Signoret et où Noëlle, mère de quatre enfants devait se transformer en abeille du foyer. D’où cette “Pénélope”, ironique que lui a dédié Brassens, autre ami du couple.
Pourquoi avoir intitulé votre fim, Une citoyenne volontaire ?
C’est une référence à Avà Basta, l’organisation contre le racisme qu’elle porta parce qu’elle était éprise de justice et d’égalité. La décolonisation de l’ex-empire français signifiait aussi beaucoup pour elle. Il faut également se souvenir du travail accompli par sa sœur, Andrée Daventure, monteuse, pour promouvoir l’essor du cinéma africain, en particulier des pays de l’Afrique de l’Ouest. À son retour en Corse, Noëlle s’est immédiatement impliquée ans la vie sociale de l’île, en luttant vigoureusement contre la fraude électorale, puis en intégrant Radio Balbuzard, une radio libre qui dénonçait, entre autres, la répression contre les nationalistes. Ce qui m’a toujours frappé chez elle, c’est qu’elle était très corse et tout autant ouverte au monde. Une telle ouverture, à mon sens, nous manque énormément aujourd’hui, où la Corse est beaucoup plus renfermée.
Vous êtes très différents de tempéraments et de convictions politiques. Votre point commun était-ce le cinéma ?
Oui… En 1981, Noëlle crée Sinemassoci pour aider des cinéastes insulaires à produire et réaliser des films ici. Elle-même lors de ses documentaires : Da fassi una spulendata, Da piaghja à la muntagna, Stonde s’était heurtée aux carences de moyens cinématographiques en Corse. Elle ressentait aussi que dans le Riacquistu manquaient les images, alors qu’elle liait très fort oralité et besoin d’images. C’est pourquoi elle a voulu agir pour que des films soit fait sur l’île. D’où l’association, Sinemassoci … Adolescente dans la Résistance elle avait fait la connaissance du grand critique et historien du cinéma, George Sadoul. Cette rencontre a peut-être compté pour elle dans son attirance future pour le 7e art ? Son désir de faire de la Corse un lieu de création cinématographique, je la partageais. Car à mes yeux la Cinémathèque de Corse ne devait pas seulement préserver des œuvres, mais aider à la création… Une idée qui est tombée à l’eau lorsque la Collectivité de Corse a pris la direction de la nouvelle structure culturelle !
Vous étiez de droite. Elle était de gauche. Et pourtant vous étiez amis !
On défendait l’image en Corse et on n’a jamais été en conflit. Elle est toujours venue aux manifestations organisées par la Cinémathèque. J’ai été à la remise de sa médaille de Chevalier de la Légion d’honneur et à celle d’Officière de la Légion d’honneur. L’un et l’autre on a privilégié la Corse et la nécessité de s’ouvrir sur l’ailleurs… Aujourd’hui l’individualisme a pris trop de place. Le désir de travailler en réseau, de fédérer les énergies n’est plus trop là et des politiques ne semblent plus à la hauteur !... On a beaucoup fêté le 300e anniversaire de Paoli, mais on n’a pas été capable de réaliser un long-métrage sur u Babbu di a Patria !
Est-ce vrai que vous n’avez pas de diffuseur pour « Une citoyenne volontaire » ?
À la mort de Noëlle, les politiques de tous bords ont multiplié hommages et dithyrambes, mais quand il est question de diffuser Une citoyenne volontaire, qui retrace l’intégralité de son parcours hors du commun, ils se mettent aux abonnés absents ! En outre, il faudrait que des diffuseurs compétents fassent améliorer images et son de certains passages, sans oublier de régler les droits de la chanson, « Pénélope »…
Avec Avà Basta Noëlle Vincensini a mis au grand jour l’existence d’un racisme en Corse. Qu’est-ce que cela lui a valu ?
Avà Basta s’inscrivait dans la continuité de son combat pour la justice et l’égalité. Mais sa lutte contre le racisme lui a valu bien des inimitiés, bien des haines de certains nationalistes au début et des adeptes de Le Pen… Heureusement sa force de caractère, son autorité morale lui ont permis de surmonter ces vilenies.
Propos recueillis par M. A-P
les photos de J.P Mattei sont de Yves Agostini