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RIXES

La vie n'est pas sans rixes comme aurait pu l'écrire ce rixe-tout Blaise Cendras, le bourlingueur
Rixes
La vie n’est pas sans rixes comme aurait pu l’écrire ce rixe-tout de Blaise Cendrars, le bourlingueur.


Si l’on considère qu’à vrai parler l’aventure est une vie, ce qui est dangereux c’est la vie. J’admets (sans l’admettre parce que c’est une lâcheté supplémentaire) que l’on nomme par commodité (s) les voyous, qui rixent dans la rue et se tuent à qui mieux mieux, « des jeunes », mais alors précisons: « des jeunes gens ».
Evitons de laisser croire que jeune et voyou sont des synonymes, sinon l’homme moderne ne fera plus d’enfants.
Après réflexion, les Covids et « les jeunes », c’est un peu pareil, ça fait mal et ça inquiète. Prenons notre temps sans « croquer le marmot » comme l’a écrit cependant Victor Hugo dans un poème intitulé Bon conseil aux amants: « Vous qui cherchez à plaire ne mangez pas l’enfant dont vous aimez la mère ».

L’enfance, c’est la vie, c’est donc le risque. Les beaux esprits se pâment et s’indignent à loisir: on ne doit pas toucher la jeunesse! C’est elle ce volcan qui aujourd’hui gronde et anime ce qui semble être la plus grande rupture entre les générations depuis la fin de la dernière guerre. Le suborneur est donc hardiment contempté.
Pour une génération d’intellectuels formés à l’école romaine, tels les lauréats de l’Université des Lettres Classiques, c’est difficile à digérer. Il n’est besoin que de relire Les faux Monnayeurs d’André Gide,
Le Fichier Parisien
d’Henri de Montherlant ou Les Poèmes à Francesca de Gabriel Matzneff, pour se faire une idée de l’océan traversé. L’obsolescence de la culture classique mène à la déperdition de la langue française et donc à l’irruption de la violence.
Qui ne sait pas dire se bat.
La guerre des poings remplace alors celle des mots et les disciples de Sénèque sont contraints à l’abstinence sinon à la continence, faute d’avoir pu expliquer la singularité du « puer » (l’enfant romain). N’épiloguons pas. Une société est morte, en arrive une autre. Il faudra bien s’y faire. La jeunesse n’a évidemment pas tous les torts.

Si l’on considère la manière indigne dont ont été traités par l’autorité préfectorale de Corse les paisibles manifestants d’Ajaccio qui ont occupé symboliquement le Palais Lantivy, on peut raisonnablement s’interroger. Qui est à blâmer en fin de compte? Ne serait-il pas loisible de penser pour illustrer les considérations qui précèdent, que d’avoir perdu sa langue pour l’avoir laissé dégénérer en charabia, a érodé profondément le droit au respect de qui avait en charge de la protéger.
Qui est à blâmer derechef ? Pour être honoré il faut être honorable.

Le Cardinal de Richelieu, comme son successeur Mazarin, avaient parfaitement conscience que le respect que l’on devait à la France, plus qu’au succès des armes du souverain, était dû à l’éclatante beauté de la langue française.
Ils avaient créé l’Académie Française pour la protéger. Les élites régionales se sont donc livrées aux seuls maîtres qui pouvaient rehausser leur fierté, le dictionnaire et son corollaire, le bon usage. Plus de langue, plus de maître. Je voudrais évoquer comme un hommage Les embarras de Paris de Boileau, pour déplorer que le ministre du jour les a rendu intestinaux par l’aboulie qu’il manifeste en présence de l’occlusivité. Je parle bien de l’écriture occlusive qui n’est pas autre chose qu’une rixe supplémentaire contre laquelle le pays n’a souscrit hélas aucune assurance-rixe. Comment s’étonner que resurgisse l’usage des idiomes plus anciens dans cette circonstance dévastée? Il y a fort à parier que les jeunes esprits du futur que la littérature intéresse, préfèreront lire Balzac, Molière, et même Descartes et Montaigne, en breton, corse, cévenol alsacien ou basque, plutôt qu’en néo-charabia. Qui ne respecte pas sa langue mérite qu’on la lui coupe.

Ayons bien à l’esprit que si l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame devait être suivi de la réécriture de Molière, il ne resterait plus aux vaincus volontaires qu’on été les peuples fédérés par les rois, empereurs et républiques qui se sont succédés pendant mille cinq-cents ans à la tête du pays, que l’exil vers d’autres horizons ou peut-être le repli mental vers leur propre passé, qui demeure l’inexpugnable refuge de leur identité.

On ne se bat pas qu’avec des poings, mais aussi avec des mots.
Il n’y a pas d’autre explication à la dislocation de l’empire romain que la volatilisation de sa langue, le latin.

A bon entendeur, Ave!


Jean- François Marchi
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